Dépayser un personnage: un goûter chez le Chapelier fou

Lors de notre dernière séance, et pour concilier nos hautes ambitions littéraires avec le souci de notre jeune public, nous avons travaillé sur Alice au pays des merveilles et quelques-unes de ses adaptations cinématographiques. L’exercice du jour consistait à transplanter un personnage de la littérature pour l’envoyer au pays des merveilles, chez le chapelier fou. On trouvera sous ce lien le diaporama projeté en séance, et ci-dessous la liste des personnages proposé pour transplantation. Chacun est invité à se livrer à l’exercice et à poster son texte dans les commentaires, s’il le souhaite.

  • Madame Bovary
  • Charles Bovary
  • Hamlet
  • Phèdre
  • Rastignac
  • Gargantua
  • Marcel (le Narrateur)
  • Oedipe
  • Candide
  • Ulysse
  • Harry Potter
  • Dom Juan
  • Sherlock Holmes
  • Arsène Lupin
  • Mr Darcy
  • Dracula
  • Cyrano de Bergerac
  • Mme de Merteuil
  • Dorian Gray

Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles, Traduction par Henri Bué. Macmillan, 1869 (p. 98-114). Chapitre VII (extrait)

Il y avait une table servie sous un arbre devant la maison, et le Lièvre y prenait le thé avec le Chapelier. Un Loir profondément endormi était assis entre les deux autres qui s’en servaient comme d’un coussin, le coude appuyé sur lui et causant par-dessus sa tête. « Bien gênant pour le Loir, » pensa Alice. « Mais comme il est endormi je suppose que cela lui est égal. »

Bien que la table fût très-grande, ils étaient tous trois serrés l’un contre l’autre à un des coins. « Il n’y a pas de place ! Il n’y a pas de place ! » crièrent-ils en voyant Alice. « Il y a abondance de place, » dit Alice indignée, et elle s’assit dans un large fauteuil à l’un des bouts de la table.

« Prenez donc du vin, » dit le Lièvre d’un ton engageant.

Alice regarda tout autour de la table, mais il n’y avait que du thé. « Je ne vois pas de vin, » fit-elle observer.

« Il n’y en a pas, » dit le Lièvre.

« En ce cas il n’était pas très-poli de votre part de m’en offrir, » dit Alice d’un ton fâché.

« Il n’était pas non plus très-poli de votre part de vous mettre à table avant d’y être invitée, » dit le Lièvre.

« J’ignorais que ce fût votre table, » dit Alice. « Il y a des couverts pour bien plus de trois convives. »

« Vos cheveux ont besoin d’être coupés, » dit le Chapelier. Il avait considéré Alice pendant quelque temps avec beaucoup de curiosité, et ce fut la première parole qu’il lui adressa.

« Vous devriez apprendre à ne pas faire de remarques sur les gens ; c’est très-grossier, » dit Alice d’un ton sévère.

À ces mots le Chapelier ouvrit de grands yeux ; mais il se contenta de dire : « Pourquoi une pie ressemble-t-elle à un pupitre ? »

« Bon ! nous allons nous amuser, » pensa Alice. « Je suis bien aise qu’ils se mettent à demander des énigmes. Je crois pouvoir deviner cela, » ajouta-t-elle tout haut.

« Voulez-vous dire que vous croyez pouvoir trouver la réponse ? » dit le Lièvre.

« Précisément, » répondit Alice.

« Alors vous devriez dire ce que vous voulez dire, » continua le Lièvre.

« C’est ce que je fais, » répliqua vivement Alice. « Du moins — je veux dire ce que je dis ; c’est la même chose, n’est-ce pas ? »

« Ce n’est pas du tout la même chose, » dit le Chapelier. « Vous pourriez alors dire tout aussi bien que : « Je vois ce que je mange, » est la même chose que : « Je mange ce que je vois. » »

« Vous pourriez alors dire tout aussi bien, » ajouta le Lièvre, « que : « J’aime ce qu’on me donne, » est la même chose que : « On me donne ce que j’aime. » »

« Vous pourriez dire tout aussi bien, » ajouta le Loir, qui paraissait parler tout endormi, « que : « Je respire quand je dors, » est la même chose que : « Je dors quand je respire. » »

« C’est en effet tout un pour vous, » dit le Chapelier. Sur ce, la conversation tomba et il se fit un silence de quelques minutes. Pendant ce temps, Alice repassa dans son esprit tout ce qu’elle savait au sujet des pies et des pupitres ; ce qui n’était pas grand’chose.

Le Chapelier rompit le silence le premier. « Quel quantième du mois sommes-nous ? » dit-il en se tournant vers Alice. Il avait tiré sa montre de sa poche et la regardait d’un air inquiet, la secouant de temps à autre et l’approchant de son oreille.

Alice réfléchit un instant et répondit : « Le quatre. »

« Elle est de deux jours en retard, » dit le Chapelier avec un soupir. « Je vous disais bien que le beurre ne vaudrait rien au mouvement ! » ajouta-t-il en regardant le Lièvre avec colère.

« C’était tout ce qu’il y avait de plus fin en beurre, » dit le Lièvre humblement.

« Oui, mais il faut qu’il y soit entré des miettes de pain, » grommela le Chapelier. « Vous n’auriez pas dû vous servir du couteau au pain pour mettre le beurre. »

Le Lièvre prit la montre, et la contempla tristement, puis la trempa dans sa tasse, la contempla de nouveau, et pourtant ne trouva rien de mieux à faire que de répéter sa première observation : « C’était tout ce qu’il y avait de plus fin en beurre. »

Alice avait regardé par-dessus son épaule avec curiosité : « Quelle singulière montre ! » dit-elle. « Elle marque le quantième du mois, et ne marque pas l’heure qu’il est ! »

« Et pourquoi marquerait-elle l’heure ? » murmura le Chapelier. « Votre montre marque-t-elle dans quelle année vous êtes ? »

« Non, assurément ! » répliqua Alice sans hésiter. « Mais c’est parce qu’elle reste à la même année pendant si longtemps. »

« Tout comme la mienne, » dit le Chapelier.

Alice se trouva fort embarrassée. L’observation du Chapelier lui paraissait n’avoir aucun sens ; et cependant la phrase était parfaitement correcte. « Je ne vous comprends pas bien, » dit-elle, aussi poliment que possible.

« Le Loir est rendormi, » dit le Chapelier ; et il lui versa un peu de thé chaud sur le nez.

Le Loir secoua la tête avec impatience, et dit, sans ouvrir les yeux : « Sans doute, sans doute, c’est justement ce que j’allais dire. »

« Avez-vous deviné l’énigme ? » dit le Chapelier, se tournant de nouveau vers Alice.

« Non, j’y renonce, » répondit Alice ; « quelle est la réponse ? »

« Je n’en ai pas la moindre idée, » dit le Chapelier.

« Ni moi non plus, » dit le Lièvre.

Alice soupira d’ennui. « Il me semble que vous pourriez mieux employer le temps, » dit-elle, « et ne pas le gaspiller à proposer des énigmes qui n’ont point de réponses. »

« Si vous connaissiez le Temps aussi bien que moi, » dit le Chapelier, « vous ne parleriez pas de le gaspiller. On ne gaspille pas quelqu’un. »

« Je ne vous comprends pas, » dit Alice.

« Je le crois bien, » répondit le Chapelier, en secouant la tête avec mépris ; « je parie que vous n’avez jamais parlé au Temps. »

« Cela se peut bien, » répliqua prudemment Alice, « mais je l’ai souvent mal employé. »

« Ah ! voilà donc pourquoi ! Il n’aime pas cela, » dit le Chapelier. « Mais si seulement vous saviez le ménager, il ferait de la pendule tout ce que vous voudriez. Par exemple, supposons qu’il soit neuf heures du matin, l’heure de vos leçons, vous n’auriez qu’à dire tout bas un petit mot au Temps, et l’aiguille partirait en un clin d’œil pour marquer une heure et demie, l’heure du dîner. »

(« Je le voudrais bien, » dit tout bas le Lièvre.)

« Cela serait très-agréable, certainement, » dit Alice d’un air pensif ; « mais alors — je n’aurais pas encore faim, comprenez donc. »

« Peut-être pas d’abord, » dit le Chapelier ; « mais vous pourriez retenir l’aiguille à une heure et demie aussi longtemps que vous voudriez. »

1 commentaire sur “Dépayser un personnage: un goûter chez le Chapelier fou

  1. 1ère version, 2-3 jours après ce 1er atelier et démarche :

    Atmosphère : mixte entre la féérie Disney et la fuite contre le macabre de Burton.

    Tableau : Une course contre la montre entre le lapin et Dorian GRAY pour stopper les célébrations d’anniversaires et ainsi arrêter de vieillir, c’est le jour du « NON ! aux anniversaires ». Le compte à rebours est lancé…

    Style : peu de ponctuation pour suivre le rythme éperdu des personnages délirants, l’un entrainant l’autre qui coure à sa perte.

    Le lapin, hors d’haleine :
    Court, Dorian, court ! vite, vite … Nous sommes trop en avance ! (ils courent en marche arrière en boucle autour de la table de fête renversée).
    « Le temps est assassin*» ! sus-pendons ce tueur en série policière haut et en court-métrage pour le rallonger et l’empêcher de rattraper les aiguilles des horloges qui pointent les goussets sous les yeux des momies blafardes (des cabinets de curiosités) qui n’ont pas bu le jus de carotte qui redonne bonne mine sur les tableaux en papier de riz avalé par le temps nécrophage, avant que la reine en colère ne te retaille le portrait au coulis de tomate écarlate…
    De la théière érisée s’évapore un sfumato arc-en-ciel aux couleurs du haut-de-forme que le chapelier de la reine d’Angleterre coupe en lamelles transversales qui, lancées telles des frisbees, se transforment en poudres d’Holi**(wood) incendiées :

    ¡ blanche neige ! ¡ jaune poussin ! ¡ orange sanguine ! ¡ marron de rouille !
    ¡ rouge gorge ! ¡ violet de bette-rave party ! ¡ bleu de prussien ! ¡ vert de gris !
    ¡ noir d’encre de seiche !

    Vestiges du temps qui a raison de tout et retombe en poussière …
    Dorian s’était retourné
    Champagne !***

    * Allusion au titre de Michel BUSSI / et à RENAUD dont les Mistrals gagnants ne peuvent retenir le rire des enfants et donc l’illusion de la jeunesse éternelle.
    ** Fête indienne : symbole de l’arrivée heureuse du printemps et du renouveau. La veille les feux de joie symbolisent la destruction du mal par les flammes. La vie renait des cendres mais son cycle est immuable.
    *** Allusion au titre de Jacques HIGELIN.

    Transition vers un autre personnage :

    Quasimodo avait pourtant signalé cette inscription gravée dans la pierre « ANAIKH », qui signifie « fatalité » …

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *