Petites annonces

Asso. Fictions ch. txts. … Pour la dernière séance de l’année 2021, Fictions a collecté des Petites Annonces… Consigne très simple: imaginez une histoire… Si vous voulez participer, rien de plus facile : il vous suffit de poster vos textes en commentaire, ci-dessous. Sérieux s’abstenir.

5 commentaires sur “Petites annonces

  1. Toilettage
    Je vous propose mes services à votre domicile, inutile de vous déplacer je viens à vous !
    Moins de stress pour le chien et beaucoup plus pratique pour vous.
    Soucieuse de l’environnement, j’utilise des cosmétiques bio, français et à 98% naturels. Et la santé de mon chien, tu t’en moques ?
    Je suis disponible dans un rayon de 15km environs autour de Trainou, n’hésitez pas à me contacter pour plus de renseignements.
    A bientôt  !
    (Trainou : dans le 45, le Loiret)

    Agnès Atinault
    VOLCAN DOS LOS GARNOTTOS
    Cette petite annonce de toilettage attire mon attention : en effet, nous avons un gentil chien qui aurait besoin d’un bon nettoyage avant les fêtes de fin d’année. Je décide de prendre contact avec cette personne pour obtenir des détails quant aux prestations toilettage qu’elle propose et aux tarifs pratiqués. Oh là, ça commence mal : pas de nom, pas de numéro de téléphone ni adresse, juste le nom d’une ville : Trainou, dans le Loiret. Aie, aie, aie ; comment faire ?
    -Premièrement appeler le journal où est parue cette annonce pour en savoir plus….Ca sonne souvent dans le vide, enfin au bout de dix tentatives (je suis tenace!), une voix d’homme traînarde me répond qu’on va faire des recherches mais qu’il y a peu de chance qu’on obtienne les coordonnées de quelqu’un. Sympa, enfin bon, je remercie poliment et dit que je compte vraiment sur eux.
    -Deuxièmement, rechercher dans les pages blanches/jaunes…..Ah oui, zut ça n’existe plus vraiment ce truc. Bon bah, rechercher sur google s’il est mentionné un toiletteur sur la commune de Trainou dans le 45. Pas vraiment probant non plus….
    -Troisième essai : appeler la Mairie qui saura peut-être…. Encore pire, la fonction publique. Pensez-vous, ça travaille pas des masses : cette mairie n’est ouverte que trois jours par semaine, n’a pas d’adresse mail. Encore un bled paumé au fin fond de nulle-part.
    Faut pourtant vraiment que je trouve un toiletteur pour notre pauvre « Volcan dos los garnotos », euh oui pardon, c’est notre petit CKC, euh Cavalier King Charles bleneim (c’est à dire, bicolore fauve et blanc). Ses longs poils blancs sur les pattes sont tout crasseux en ce début d’hiver humide.
    Tiens ça sonne. Vite je décroche : le gars du journal qui me rappelle, correct déjà. Bon par contre, mauvaise pioche, comme prévu pas d’information sur les coordonnées de l’annonceur. Bah, il a pas dû trop se fouler pour chercher. Je le remercie platement et prends congé.
    Bon, reste la Mairie : ça ne va pas être facile non plus pour trouver la toiletteuse du bled. Voyons voir : il faut appeler les lundi mercredi et vendredi sauf pendant les congés scolaires : ah bon, ils sont comme les enfants ? Je vais essayer mercredi…….Pas de réponse…..Alors vendredi….Ah on décroche : Bonjour, désolée de vous déranger, je voulais savoir si vous pourriez me renseigner, y a t ‘il une toiletteuse pour animaux sur Trainou. Ça soupire au bout du téléphone. Écouter aujourd’hui je n’ai pas trop de temps, je me renseigne et je vous rappelle lundi, donner moi votre numéro. Merci beaucoup, c’est le 08 08 08 88 88.
    Bon mon brave Volcan, nous allons devoir attendre encore un peu pour te faire tout beau, tout propre.
    Le lundi suivant, l’employée de mairie me rappelle comme promis et me confirme que Mme DUCHIEN, habitant la commune exerce bien le métier de toiletteuse, elle accepte de me transmettre son numéro car elle se déplace chez le clients. Je remercie chaleureusement et raccroche.

    Je m’empresse d’appeler Mme DUCHIEN, le jour même, et tombe sur sa messagerie – elle doit être en train de s’occuper d’un toutou – et laisse mes coordonnées et l’objet de mon appel. Vers midi, je reçois un appel de la toiletteuse. Très bavarde, je ne peux pas en placer une et puis je commence à avoir faim moi madame…. Elle propose de passer demain matin : je bosse. Je reprends la conversation en lui disant que j’habite Vitry aux Loges à 15km de Trainou mais que je travaille à Fleury les Aubrais, que demain matin, je ne pourrai pas me libérer. En fin de semaine, vendredi si elle peut ? Rendez-vous est donc pris pour vendredi après-midi, je voudrais la questionner pour faire connaissance et connaître son fonctionnement mais elle est obligée de raccrocher. Bon bah, wait and see….
    Vendredi 14h, on sonne à la porte, c’est Mme DUCHIEN avec deux valises. Je lui ouvre, Volcan lui fait la fête, ça commence plutôt bien. J’essaye d’aborder avec elle les sujets qui me posent question à propos de ses soins à domicile mais débordante d’énergie, elle demande à voir les lieux et à commencer sa mission auprès de notre CKC. Qu’à cela ne tienne, je la précède vers la salle de bains, suivies de Volcan frétillant de la queue et commence malgré tout mon questionnement.
    Pourquoi préférez-vous intervenir au domicile ?
    Comme je l’ai mentionné dans l’annonce, je pense que c’est moins stressant pour le chien et beaucoup plus pratique pour vous. (je pense : bof, ça m’oblige à être présente, ça va « déguelasser » ma salle de bains, en plus je n’ai pas de baignoire mais une douche italienne, et à faire le ménage après, en plus il n’aime pas le bain : c’est un véritable trouillard). Le fait qu’il n’y ait pas de baignoire ne la gêne nullement, elle sort d’un valise un gros pochon bleu et un gonfleur : une baignoire gonflable : wouahou. OK, je comprends, elle la remplit d’eau et sort serviettes et sèche cheveux, ciseaux et table pliable sur laquelle elle installe son matériel. Le Volcan, curieux comme une vieille femme tourne autour de toute cette installation.
    Vous dites vous utilisez des cosmétiques bio, français et à 98% naturels parce que soucieuse de l’environnement. (Je pense : Et la santé de mon chien, tu t’en moques ma cocotte?). Ces produits ne sont-ils pas toxiques pour les animaux ? Elle se cabre un peu et répond que non. Je sens qu’elle est irritée par ma présence et mes questions, je quitte la pièce un moment pour revenir avec deux cafés/carrés de chocolat que je pose sur le rebord du lavabo. Elle semble satisfaite et laisse s’ébrouer Volcan au sortir du bain (je pense : « purée », il éclabousse partout ce cochon). Elle jette une serviette au sol et il s’essuie dessus.
    Tout en m’écoutant, elle s’affaire autour de notre chien qui semble ravi qu’on prenne autant soin de son esthétique. Elle répond à mes questions – sauf celles pensées que je n’évoque pas bien sûr.
    Je repars chercher l’aspirateur que je laisse dans le couloir à proximité. J’écoute : tout semble bien se passer. J’en suis ravie. J’entends le sèche cheveux tourner, ça touche à sa fin. Mme DUCHIEN sort suivie de Volcan, magnifique qui pérore dans le couloir : elle a tout rangé et nettoyé. Parfaite cette femme.
    – Je me permets une petite suggestion si vous le permettez Mme DUCHIEN ? Vous devriez mentionner vos coordonnées de contact dans l’annonce : j’ai eu un mal de chien à vous trouver. Ah Ah Ah.
    Elle me présente sa facturette : 70€ accompagnée d’un petit sachet de friandises canines. Je lui fais son chèque auquel je rajoute 10€ pour récompenser son travail. Plus que parfaite ! Je peux ranger mes doutes au placard, elle reviendra.
    EPILOGUE : Volcan fut le plus heureux des chiens auprès de sa jeune maîtresse, qu’il combla de bonheurs. Il est mort quelques jours après ce toilettage et fut longtemps pleuré. Il accompagne Eugénie de là-haut au paradis des animaux.

  2. Urgent : homme japonais, 48 ans, célibataire, en France pendant un an pour raisons de travail, cherche à louer famille française composée d’un couple hétérosexuel avec deux enfants entre 5 et 1O ans, pour passer un réveillon de Noel traditionnel. Avantages en nature : repas composé de foie gras, huitres, dinde et bûche de Noel ; possibilité de chèque emploi service (CESU).
    ____________________________________________________________
    Et si elle acceptait… un réveillon de Noel en toc …un vrai pied de nez à cette fête qui lui donne le cafard, une année sur deux, l’année où ses enfants sont chez leur père et sa nouvelle famille. Mais le problème est que, justement, les enfants ne seront pas là ; quant au mari, elle n’est pas près d’en trouver un ! Pas un vrai, en tous cas… mais un faux, avec de vrais enfants elle en a un, Christian, son vieux copain de théâtre, son mari dans la pièce qu’ils répètent cette année à l’atelier, les Estivants, de Gorki ! Comme elle, Christian est divorcé et il lui a avoué qu’il appréhendait ce premier Noel seul avec ses enfants ,Gaetan et Louise âgés de 9 ans et 7 ans.
    Le soir même, Myriam avait tout réglé : Christian était à la fois ravi de l’intrigue et soulagé d’être pris en charge et les enfants se réjouissaient de passer Noel avec Myriam qu’ils adoraient chez « son cousin d’origine japonaise ». On leur avait dit que « c’était pour le théâtre », et ils étaient très excités à l’idée de jouer leur rôle d’enfants du couple papa – Myriam qu’ils avaient déjà vu sur scène.
    L’échange de mail avec monsieur Tanaka avait été très laconique : oui, des cadeaux modestes étaient prévus, apportés par un père Noel de location ; non, pas de messe de minuit, mais des chants de Noel des provinces françaises seraient les bienvenus. Monsieur Tanaka acceptait le rôle de cousin lointain
    Le 24 décembre, à 20 heures précises, la famille française était devant l’ascenseur d’un luxueux immeuble du XVII ème arrondissement, en face du Parc Montceau. Myriam portait la petite robe noire qu’elle n’avait pas mise depuis son désastre conjugal, les enfants étaient déguisés en petits bourgeois fin de siècle ( le 19ème) collants blancs sous robe en velours bleu foncé pour Louise , chemise blanche et costume gris pour Gaétan qui avec ses boucles brunes ressemblait au petit Roberto Benzi des années 50, dirigeant l’orchestre dans le film Prélude à la Gloire. Christian était Christian, mais il avait accepté de ne pas mettre son vieux survêtement vert. L’esprit de Noel était représenté par un nœud papillon violet, bizarrement plaqué sur une chemise jaune jamais repassée. Myriam s’était abstenue de tout commentaire…. Monsieur Tanaka habitait au dernier étage. Il ouvrit la porte au premier coup de sonnette. D’un geste élégant, il esquiva la main tendue de Christian et se courba en deux. Gaetan, intimidé, recula d’un pas, Louise esquissa une petite révérence qu’elle avait apprise à la kermesse de l’école. Myriam se contenta de sourire. La petite famille fut invitée à entrer dans le vaste salon meublé sobrement. Près d’une fenêtre se tenait un grand sapin, joliment décoré de guirlandes aux lumières douces.
    Ils prirent place dans de confortables fauteuils et monsieur Tanaka dans un français très maitrisé, leur demanda de l’appeler par son prénom, Tochiho, rappelant tout naturellement à Myriam qu’elle l’appelait ainsi les étés où il venait en France, lorsqu’elle était petite. Myriam était un peu perdue, il inventait des souvenirs qu’elle faisait siens ; sa voix douce lui donnait une enfance qu’elle aurait rêvée avoir, une vaste maison en Dordogne, avec des cachettes et des rires d’enfants, une complicité entre elle, petite fille sauvage et lui, petit garçon aux croyances étranges .
    « Te souviens- tu des tellu tellu bozu , ces petites poupées en chiffon que je t’ai fabriquées pour que la pluie s’arrête, cet interminable dimanche d’ennui ? Et la pluie s’est arrêtée … »
    « Oui, je me souviens » , disait Myriam, et elle se souvenait, de la pluie, de l’ennui , et oui,, des poupées aussi, oui, peut-être…
    « Te souviens- tu que l’année de tes 3 ans , cette année si importante pour les petites filles japonaises, j’étais venu en France avec le kimono que ma mère avait confectionné pour toi ? tu étais si jolie, petite fille aux boucles blondes dans ce kimono rose de fête… »
    « Oui, je me souviens » disait Myriam, et elle se souvenait de sa joie , de ce blond, et de ce rose, et oui , du kimono de fête, oui, peut être…
    Une porte claqua au fond de l’appartement, un souffle d’air froid parcourut la pièce, et soudain apparut le Père Noel, lunettes rondes et cheveux frisés, barbe blanche et regard malicieux. Gaetan n’y croyait plus bien sûr, il n’avait même pas fait sa lettre cette année, mais quand même, il ne put s’empêcher de battre des mains, avec Louise, qui savait encore que le Père Noel existait. Et puis, s’il n’existait pas, comment avait il appris que c’était exactement cette version de son jeu préféré, Mein Kraft ,qu’il désirait sans oser le dire aux parents qui étaient contre les jeux video ? Comment avait-il su que le rêve de Louise , chuchoté dans son oreille hier était cette grande boite de Lego Friends hyper chère ? Peut être il existait, le père Noel, oui , au Japon, peut être…

    Myriam aussi était gâtée, avec ces ravissantes boucles d’oreilles, des dormeuses argentées, qui allaient si bien avec la robe noire, et Christian n’en revenait pas de son cadeau, le tome I des œuvres de Shakespeare dans la collection de la Pleiade, avec La Tempête, sa pièce préférée. Il se sentait si proche de Prospero, de ses rêves de grandeurs et de ses renoncements. Et puis, Christian avait beaucoup apprécié le champagne de monsieur Tanaka, enfin Tochiho, et surtout il avait bien aimé goûter le Sake, particulièrement le Sake chaud, de monsieur Chihito, heu.. TohiChi, enfin monsieur Tagada. Alors, dans un élan superbe, Christian se leva et déclama de sa voix puissante :
    « J’aime tout et tous ; Mon âme est profonde et sans limite comme la mer… Note ça Waria, euh, Myriam : l’âme profonde et sans limite comme la mer.. du vin, euh du Sake, je vous prie, donnez -moi du saké » et Myriam enchaîna immédiatement : « Tu as un peu trop bu , une fois de plus, Serguéi., euh Christian. Tu sais pourtant comme c’est mauvais pour toi ».Les enfants adoraient cette scène des Estivants, ils applaudirent et tapèrent du pied en disant « encore ! Encore !»
    Monsieur Tanaka se tenait un peu retrait, il observait ces français, c’était donc cela un Noel traditionnel ? Il pensait à sa prochaine location, cinq ex – gilets jaunes d’un rond -point de Sotteville -les- Rouen. L’annonce était déjà parue…

  3. PACO

    PETITE ANNONCE :
    Toilettage
    Je vous propose mes services à votre domicile. Inutile de vous déplacer, je viens à vous. Moins de stress pour votre chien et plus beaucoup plus pratique pour vous.
    Soucieuse de l’environnement, j’utilise des cosmetiques bio,français, naturels à 98%.
    Je suis disponible dans un rayon de 15 kms environ. N’hésitez pas à me contacter pour plus de renseignements. Trainou 45 Loiret

    Je quitte Trainou à 13 H, le déjeuner expédié, le café avalé. J’ai rendez-vous à une dizaine de kilomètres, dans un hameau. Un monsieur Solo m’a appelée sur le coup de midi, pour une urgence: Paco, Totalement docile à l’entendre.

    Mon GPS me conduit devant une maisonnette au milieu des champs. Le lieu n’est pas très engageant: deux carcasses de voitures rouillent dans la cour, le sol défoncé autour de la maison est le terrain de jeu d’une dizaine de poules, dindons, canards. Ils s’ébattent au milieu des déchets et des flaques de boue.

    Je sonne. Un homme hirsute ouvre. Derrière lui la pièce baigne dans l’obscurité.
    « -Bonjour! Vous êtes la toiletteuse! »
    Il m’invite à entrer. L’odeur épaisse qui stagne dans la pièce pénètre dans mes narines dès la porte. Elle me rebute, j’hésite à entrer.Il prend mon coude pour accompagner ma plongée dans l’inconnu.
    Tout, dans ce lieu devrait m’alerter, me faire prendre mes jambes à mon cou.
    Une force minuscule au fond de moi lutte pourtant contre le réflexe que mon cerveau impose dès les premières secondes. Quelque chose dans l’attitude de ce Monsieur Solo, m’empêche d’obéir aux recommandations assénées depuis l’enfance: ne pas trop faire confiance spontanément, ect…
    Trop tard, quoi qu’il en soit, la porte s’est refermée et je suis faite, peut-être comme un rat, avec mes bonnes intentions et ma mallette de produits bio..

    « -J’vous offre un p’tit canon si vous voulez, fait pas chaud !
    -Non, non, je vous remercie! d’ autres clients m’attendent après vous. 
    Où est Paco? il est vraiment calme! C’est rare un chien qui n’aboie pas quand quelqu’un entre dans sa maison!
    -Ben!…Il est pas vaillant Paco, ces temps. Il est dans la pièce à côté.
    On a vu le vétérinaire pour un scanner, cette semaine. Ca allait pas!
    Il va un peu mieux aujourd’hui. Il a vraiment besoin d’être rafraîchi,
    qu’on lui r’fasse une beauté! »

    Il se dirige vers une porte, au fond de la pièce, l’ouvre et me laisse passer.
    Guère plus de clarté, l’inquiétude commence à m’envahir. Un silence total remplit la pièce. A force d’écarquiller les yeux,je distingue un amas par terre, au centre de la chambre, comme un monticule de vêtements, de tissus, un tas de chiffons.
    Le tas frémit imperceptiblement, soulevé à un rythme régulier.
    « -Il s’est endormi, Paco, on dirait! »
    Il ouvre un volet, la lumière entre dans la pièce.
    Monsieur Solo s’approche de l’amoncellement de tissus, en soulève une partie. Une tête apparait. Et ce n’est pas un chien!
    « -C’est Paco, mon fils… »
    La surprise me paralyse. Je ne comprends pas ce que je fais ici, enfermée avec ces deux hommes. J’attends qu’il m’éclaire, incapable de parler. Mon cerveau, affolé, ne me donne aucune piste.
    L’homme couché est énorme, monstrueusement gros! Il rabat un peu plus les couvertures, réveillé maintenant, noyé dans les flaques de chair qui s’étalent loin de son visage. On ne saurait dire quelle partie de son corps
    tremble comme une gelée quand il bouge, le bras, la poitrine, le ventre.
    Les couches de chair, les plis se superposent.

    « -Excusez moi de vous mettre dans cette situation! Je ne sais plus quoi faire! J’arrive plus à me débrouiller avec Paco.
    Oui, hier on est allé chez le vétérinaire pour qu’il passe un scanner.
    C’est qu’à l’hôpital, on peut plus le prendre! Il est trop lourd!
    C’est 250 kgs la limite pour le scanner! Et ben Paco,il est presque à 300 maintenant! Ca s’arrête pas! Tout est devenu impossible!
    Il respirait tellement mal ces temps que j’ai pris peur! J’ai appelé le SAMU
    mardi dernier! Ils ont dû appeler les pompiers en renfort!
    10, qu’ils étaient autour du brancard pour le porter mon Paco.
    Ils appellent ça une extraction! Sortir mon fils de sa maison -une extraction! Comme quand on arrache une molaire!
    Il a passé l’examen dans un scanner à bestiaux! pour les vaches! »

    Je regarde Paco.
    Son visage concentre son humanité.
    La tête du jeune homme paraît appartenir un autre corps moins gigantesque. Elle est ridiculement petite. Pas à l’échelle. Ses traits harmonieux semblent avoir été
    modelés dans une montagne informe de matière. Le sculpteur a amorcé son oeuvre, fait surgir de la masse un visage aux traits réguliers. Puis abandonné son travail.

    Je ne peux toujours rien articuler. Interdite. Je ne comprends pas ma présence ici. L’anxiété s’est envolée. Le spectacle du malheur de ce fils couché depuis des mois et de son père, lève toute peur.

    Le coiffeur qui venait jusqu’à présent était un vieux copain . Il a quitté le coin. Je connais personne qui viendrait ici.. Quand j’ai vu votre annonce, ça a fait ‘tilt’.
    J’me suis dit qu’une dame qui a autant de délicatesses avec les chiens, voudrait bien, peut-être nous donner un p’tit coup de main. Faire une belle coupe à mon fils.
    Je regarde Paco qui a suivi le récit de son père. Il lève les yeux sur moi et brusquement me sourit- Le plus beau des sourires- qui fait disparaitre dans l’instant, le corps monstrueux, le cadre sordide et la tristesse du morne après-midi d’hiver.

    Dans ma voiture, en route vers les autres clients, je repasse en boucle la rencontre insolite. Je file sur les routes de campagne, bordées d’arbres noirs entre les champs détrempés.
    Paco, mon tout premier client!

  4. Petite annonce :
    Cours particuliers informatique
    Formatrice agréée donne cours particuliers en informatique : apprentissage Internet et Messageries. Logiciels Bureautique Word/Excel/Access/Publisher/Power Point. Numérisation, transfert et retouches photos, création site Web. Le programme des cours est personnalisé et adapté à vos besoins et les horaires sont flexibles.
    Paiement accepte les chèques emploi services (CESU).

    Texte :
    J’avais placé mon annonce devant sa salle de cours et devant la porte de son secrétariat. Je ne pouvais pas faire plus. Tim me disait que j’étais idiote et trouillarde, que ça ne marcherait jamais. J’avais déjà refusé plein de demandes, sous prétexte que j’étais occupée et, bon j’avoue, je commençais à croire Tim. ça ne pouvait pas marcher, je n’étais pas dans un film, mais dans la vraie vie, là ! Et puis, en plus, c’était une idée de merde. Je n’y connais rien en informatique, moi ! Enfin, c’est pas parce que j’installe des mods sur Skyrim que, d’un coup, je deviens programmeuse ! Tiens, encore un appel. Je jure sur la tête de Tim que si c’est encore une demande pour désinstaller Bing, je file demain à la fac pour enlever mes annonces !
     » Oui, allo ?
    – Euh… vous avez mis une annonce pour des cours informatiques…
    – Oui. Vous êtes ?
    – Euh… je suis doctorante en histoire de l’art et je donne des cours à la fac. C’est là que j’ai vu votre annonce. »
    J’y crois pas, ça a marché ! Prends ça Tim ! Ok, calme-toi, ce n’est peut-être pas elle. Mais bon, y’a combien de doctorante qui font des cours en histoire de l’art, hein ?
     » Allo ? Vous êtes là ?
    – Oui, pardon, je vérifiais mon agenda. J’espère que ce n’est pas trop urgent, je suis prise toute la semaine.
    – Si, c’est assez urgent en fait. Il faudrait me montrer comment améliorer la qualité des images insérées dans un fichier texte, dans ma thèse, en fait. A chaque fois que j’imprime, c’est tout pixelisé et je ne peux pas rendre mon travail dans cet état !
    – OK. Bon, le mieux c’est qu’on se voit. Vous pourrez me montrer le problème et on verra ensemble comment le résoudre.
    – Oui. Oui, d’accord. Super !
    – OK. On se retrouve samedi alors ? En salle informatique, si vous voulez ? Amenez votre PC.
    – Euh, oui, parfait.
    – Votre nom ?
    – Euh… Marion. Marion Sickert.
    – Ah, mais je vois très bien qui tu es ! Je bosse à l’école doctorale. Je suis Clara !
    – Ah oui… euh… désolée, je suis un peu dans ma bulle, je ne retiens pas trop la tête des gens…
    – Bah, ça fait rien. Tu préfères qu’on se retrouve dans la salle des doctorants ?
    – Ah oui ! Ouais, d’accord.
    – Super, à samedi alors ! Ah ! Euh… envoie deux ou trois images. D’ici là, je regarderai ce que je peux faire si j’ai du temps !
    – Oh merci ! Franchement, tu me sauves la vie ! A samedi ! »
    Yes ! Et paf, reste plus qu’à faire mes preuves maintenant ! Tim va être dégoûté, mon plan était génial. Bon, mais avant ça… « Youtube, tuto, photoshop… rechercher ! »

  5. PETITE ANNONCE :
    Toilettage
    Je vous propose mes services à votre domicile. Inutile de vous déplacer, je viens à vous. Moins de stress pour votre chien et plus beaucoup plus pratique pour vous.
    Soucieuse de l’environnement, j’utilise des cosmetiques bio,français, naturels à 98%.
    Je suis disponible dans un rayon de 15 kms environ. N’hésitez pas à me contacter pour plus de renseignements. Trainou 45 Loiret
    _________________________________________
    Je quitte Trainou à 13 H, le déjeuner expédié, le café avalé. J’ai rendez-vous à une dizaine de kilomètres, dans un hameau. Un monsieur Solo m’a appelée sur le coup de midi, pour une urgence: Paco, Totalement docile à l’entendre. Mon GPS me conduit devant une maisonnette au milieu des champs. Le lieu n’est pas très engageant: deux carcasses de voitures rouillent dans la cour, le sol défoncé autour de la maison est le terrain de jeu d’une dizaine de poules, dindons, canards. Ils s’ébattent au milieu des déchets et des flaques de boue. Je sonne. Un homme hirsute ouvre. Derrière lui la pièce baigne dans l’obscurité.
    « -Bonjour! Vous êtes la toiletteuse! »
    Il m’invite à entrer. L’odeur épaisse qui stagne dans la pièce pénètre dans mes
    narines dès la porte. Elle me rebute, j’hésite à entrer. Il prend mon coude pour
    accompagner ma plongée dans l’inconnu. Tout, dans ce lieu devrait m’alerter, me faire prendre mes jambes à mon cou.
    Une force minuscule au fond de moi lutte pourtant contre le réflexe que mon cerveau impose dès les premières secondes. Quelque chose dans l’attitude de ce Monsieur Solo, m’empêche d’obéir aux recommandations assénées depuis l’enfance: ne pas trop faire confiance spontanément, etc…
    Trop tard, quoi qu’il en soit, la porte s’est refermée et je suis faite, peut-être comme un rat, avec mes bonnes intentions et ma mallette de produits bio.
    « -J’vous offre un p’tit canon si vous voulez, fait pas chaud !
    -Non, non, je vous remercie! d’ autres clients m’attendent après vous.
    Où est Paco? il est vraiment calme! C’est rare un chien qui n’aboie pas quand quelqu’un entre dans sa maison!
    -Ben!…Il est pas vaillant Paco, ces temps. Il est dans la pièce à côté. On a vu le vétérinaire pour un scanner, cette semaine. Ca allait pas! Il va un peu mieux aujourd’hui. Il a vraiment besoin d’être rafraîchi, qu’on lui r’fasse une beauté! »
    Il se dirige vers une porte, au fond de la pièce, l’ouvre et me laisse passer. Guère plus de clarté, l’inquiétude commence à m’envahir. Un silence total remplit la pièce. A force d’écarquiller les yeux,je distingue un amas par terre, au centre de la chambre, comme un monticule de vêtements, de tissus, un tas de chiffons. Le tas frémit imperceptiblement, soulevé à un rythme régulier.
    « -Il s’est endormi, Paco, on dirait! »
    Il ouvre un volet, la lumière entre dans la pièce. Monsieur Solo s’approche de l’amoncellement de tissus, en soulève une partie. Une tête apparait. Et ce n’est pas un chien!
    « -C’est Paco, mon fils… »
    La surprise me paralyse. Je ne comprends pas ce que je fais ici, enfermée avec ces deux hommes. J’attends qu’il m’éclaire, incapable de parler. Mon cerveau, affolé, ne me donne aucune piste. L’homme couché est énorme, monstrueusement gros! Il rabat un peu plus
    les couvertures, réveillé maintenant, noyé dans les flaques de chair qui s’étalent loin de son visage. On ne saurait dire quelle partie de son corps tremble comme une gelée quand il bouge, le bras, la poitrine, le ventre. Les couches de chair, les plis se superposent.
    « -Excusez moi de vous mettre dans cette situation! Je ne sais plus quoi faire! J’arrive plus à me débrouiller avec Paco. Oui, hier on est allé chez le vétérinaire pour qu’il passe un scanner. C’est qu’à l’hôpital, on peut plus le prendre! Il est trop lourd! C’est 250 kgs la limite pour le scanner! Et ben Paco,il est presque à 300 maintenant! Ca s’arrête pas! Tout est devenu impossible! Il respirait tellement mal ces temps que j’ai pris peur! J’ai appelé le SAMU mardi dernier! Ils ont dû appeler les pompiers en renfort! 10, qu’ils étaient autour du brancard pour le porter mon Paco. Ils appellent ça une extraction! Sortir mon fils de sa maison, une extraction! Comme quand on arrache une molaire! Il a passé l’examen dans un scanner à bestiaux! pour les vaches! »
    Je regarde Paco.
    Son visage concentre son humanité.
    La tête du jeune homme paraît appartenir un autre corps moins gigantesque. Elle est ridiculement petite. Pas à l’échelle. Ses traits harmonieux semblent avoir été modelés dans une montagne informe de matière. Le sculpteur a amorcé son œuvre, fait surgir de la masse un visage aux traits réguliers. Puis abandonné son travail.
    Je ne peux toujours rien articuler. Interdite. Je ne comprends pas ma présence ici. L’anxiété s’est envolée. Le spectacle du malheur de ce fils couché depuis des mois et de son père, lève toute peur.
    — Le coiffeur qui venait jusqu’à présent était un vieux copain . Il a quitté le coin. Je connais personne qui viendrait ici.. Quand j’ai vu votre annonce, ça a fait ‘tilt’. J’me suis dit qu’une dame qui a autant de délicatesses avec les chiens, voudrait bien, peut-être nous donner un p’tit coup de main. Faire une belle coupe à mon fils.
    Je regarde Paco qui a suivi le récit de son père. Il lève les yeux sur moi et brusquement me sourit- Le plus beau des sourires- qui fait disparaitre dans l’instant, le corps monstrueux, le cadre sordide et la tristesse du morne après-midi d’hiver.
    Dans ma voiture, en route vers les autres clients, je repasse en boucle la rencontre insolite. Je file sur les routes de campagne, bordées d’arbres noirs entre les champs détrempés.
    Paco, mon tout premier client!

Répondre à Julie Annuler la réponse.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *