Les archétypes du roman policier

Julie nous a proposé mercredi une passionnante séance sur les archétypes… Les guides du scénario comme celui de Truby mobilisent une science psychologique très poussée, inspirée des travaux des psychologues (Jung ou G. Durand), pour mieux fixer ces personnages-types susceptibles de toutes les variations et les réappropriations…
Exercice du jour: en jouant avec les archétypes, créer votre personnage de roman policier!

Le diaporama concocté par Julie pourra vous y aider : Fictions – archétypes des personnages

2 commentaires sur “Les archétypes du roman policier

  1. Calixte, un privé haut en couleur.

    S’échappe du gargouillis dans le fond de la cuvette une odeur chaude. Des bulles crèvent à la surface de l’ignoble magma brunâtre. Elles éclaboussent l’émail déjà souillé de n’avoir pas vu un balai à chiottes depuis mille ans et laissent s’échapper des vapeurs acides. Peu à l’aise sur ses jambes maigres, les hanches hésitantes à trouver leur équilibre, Calixte tente d’une main de viser juste et de l’autre d’extraire de son visage la luxation de sa gueule de bois. Un lendemain de cuite. Non, un lendemain, rien de plus.
    A pas lourd, il passe dans la minuscule salle de bain. Un lavabo surmonté d’une glace, une douche et juste assez d’espace pour, en allongeant les bras, ouvrir d’un geste les deux robinets. Le miroir accroche ses traits. Cheveux noirs et gris, sans savoir lequel du poivre ou du sel prend le dessus dans sa tignasse hirsute. Son front, le bord de ses lèvres, de ses yeux, le Chemin des Dames, 1917. Tranchées et crevasses labourent sa peau fatiguée. Ses trois jours de barbe, les troncs calcinés d’une pauvre forêt un jour fleurie, une éternité plus tôt. Ses yeux injectés de sang le fixe. Le vert pulse, l’iris accuse.
    — Bordel ! S’exclame-t-il en enlevant son slip.
    Il se place sous le pommeau. Pas de round d’observation. Un quart de tour et l’eau gelée file sur la gravité. Coup de fouet. Les gouttes lui mordent la chair. Une horreur. Trois minutes de torture, inhumaine, infaillible. Trois minutes et se consument les ruines de sa volonté. Chaque jour, la glace charriée par les canalisations sales de la ville le ramène d’entre les morts. Ce matin, l’expression est d’une justesse terrifiante.
    Une serviette un jour blanche autour de la taille, il s’approche du bureau. Parmi l’amas de dossiers ouverts ou fermés, de feuilles jetées sans plus y penser, à côté d’une souris fatiguée et tout contre le DVD de la Petite Sirène, ses clopes. Il en cale une entre ses lèvres, l’allume, lambine jusque sous la fenêtre où sur un guéridon branlant trône une cafetière étincelante. Habitude de nanti, de l’époque où se payer une bonne était dans ses moyens, il aime le café chaud au réveil. La bonne s’étant fait la malle après des mois d’impayés, il l’a remplacé par un minuteur. Dans sa tasse brune de n’être jamais lavée – à quoi bon ?, il verse un café encore plus noir que le fond de sa conscience. Il fouille la banquette de cuir avachie à force de supporter toutes les nuits sa carcasse. D’entre les coussins, il exhume une flasque métallique, la secoue. Sourire. Il verse une lampée généreuse, goûte, en verse une seconde.
    Calixte cale son épaule contre l’encadrement de la fenêtre, l’ouvre à demi. Une longue taffe, une longue gorgée, regard perdu sur les toits gris de la ville.
    — Quel con !
    Pituite grasse, raclement de gorge, glaire qui dans une gerbe visqueuse s’écrase quatre étages plus bas, sur le trottoir.
    — Je savais qu’avec un nom pareil, Madame Crèveke ne m’amènerait que des emmerdes.

    Si Calixte vous intrigue, la suite de ses aventures sur http://www.oeilleton.com

  2. Commissaire Ezra Crimard, gradé et digne

    – « Eh ben, c’est pas joli, joli, ça ! Ah, commissaire ! Sympa comme première journée à Passy-sur-Josas, hein ?
    – Qu’est-ce qu’on a ?
    – C’est Mireille, d’la ferme d’à côté. On dirait bien qu’elle viendra plus nous causer d’ses vols de poules. Dîtes, ça va ? Z’êtes tout pâle… Je voudrais pas vous inquiéter mais vous n’avez pas l’air dans votre assiette.
    – Le manque d’oxygène, sans doute.
    – Ah ça ! Pour les parisiens, c’est dur de s’habituer à l’air pur. Fredo, viens par là ! Tu nous redescends le commissaire dans la vallée ? »

    Pendant que toute sa brigade s’activait autour du cadavre mutilé de Mireille Lignère, le commissaire Ezra Crimard descendait dans le vallon, à bord d’une ridicule R6 aux couleurs de la police nationale, vers cette bourgade insipide qui tenait lieu de ville. Il ne décolérait pas d’avoir été muté ici, en plein pays auvergnat, à cause de cette histoire à Paris.
    Sa mâchoire se contracta un peu plus et Fred Fiboule, son chauffeur imposé, se renfonça un peu plus dans son siège. Ezra savait qu’il pouvait effrayer. C’est d’ailleurs grâce à ça qu’il était devenu le meilleur interrogateur du poste. Puis, de fil en aiguille, commissaire. Il en avait tenu, des brigades, et protégé aussi, des bleus comme le jeune Fred, là. Tout ça pour quoi ? L’Auvergne.
    Bon mais finalement, ça n’allait peut-être pas être si terrible. Un si beau crime, dès son arrivée ! Il allait pouvoir montrer l’étendue de ses talents, impressionner cet idiot de lieutenant qui s’exprimer comme un paysan et essayer de les faire filer droit.

    En arrivant au commissariat, il se dit qu’il avait du boulot. Il pensait déjà cohésion d’équipe, management et rotation des tâches quand Fred interrompit le fil de ses pensées.
    « Chef. Comment vous voulez faire, pour Mme Lignère ?
    – La procédure, M. Fiboule, suivre la procédure. Dîtes, vous la connaissez, au moins ?
    – Oui, chef. Mais le lieutenant Gardot, d’habitude…
    – Ah, mais c’est terminé, les habitudes ! Maintenant, on pense carré ! On fait carré ! Et surtout, on respecte la procédure. Pour commencer, il faut dire « commissaire », pas « chef ». Compris ? »

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