Atelier Flaubert n° 4 : Steampunk! Flaubert à toute vapeur

Notre séance du 7 avril 2021 s’est déroulée à distance. Elle a porté sur Flaubert steampunk. Le steampunk est ce courant littéraire uchronique, populaire depuis la fin des années 80, qui consiste à imaginer que la maîtrise de la vapeur a débouché, au XIXe siècle, sur des avancées technologiques plus poussées qu’elles ne l’ont été réellement. Les œuvres steampunk mettent souvent en scène la France ou l’Angleterre au temps de la Révolution industrielle, mais qui auraient connu des ordinateurs, des dirigeables ou des fusées lunaires à vapeur. Jules Verne, dont les inventions nourrissent l’imaginaire des auteurs steampunk, romanciers, mais aussi désormais cinéastes ou auteurs de jeux vidéo, est une figure de référence de ce genre. Le steampunk a aujourd’hui largement débordé les limites de la littérature pour devenir une véritable sous-culture avec ses codes et ses passionné(e)s, adeptes de cosplay et de costumes faits main.

On peut s’étonner que Flaubert, contrairement à Wells ou Verne, ne soit pas devenu une icône steampunk. Nous avons décidé de remédier à cette injustice, en proposant aux participants de réécrire à la mode steampunk trois extraits de Madame Bovary.

Celles et ceux qui souhaitent se livrer à l’exercice peuvent le déposer dans la zone de Commentaire ci-dessous.

Voici le diaporama diffusé en séance ; et les textes proposés à la réécriture steampunk

5 commentaires sur “Atelier Flaubert n° 4 : Steampunk! Flaubert à toute vapeur

  1. L’Hirondelle

    On distingua le bruit d’une voiture mêlé aux sifflement de la vapeur et aux ébrouements des chevaux, et l’Hirondelle enfin s’arrêta devant la porte.
    C’était un coffre en métal brossé, agrémenté d’écrous de toutes tailles, porté par deux grandes roues à l’arrière, et 4 plus petites au devant de celles-ci. Ces 6 roues étaient toutes surmontées de sabots de freins, facilitant la maitrise de la vitesse et de garde-boues de bois. Les petits carreaux de ses vasistas, maintenus dans leurs pièces de cuir, offraient une vue imprenable sur le moteur à vapeur, n’en déplaise aux voyageurs passionnés de mécaniques. Les longs trajets leur permettaient, à loisir, de découvrir cet enchevêtrement d’engrenages, pistons, rivets et autres tuyaux. La cabine gardait des taches de boue, çà et là, parmi leur vieille couche de poussière et de suie de vapeur, que les pluies d’orage même ne lavaient pas tout à fait. Elle était attelée de trois chevaux, aux jambes mécaniques et aux naseaux fumants, laissant s’échapper les vapeurs de la machine. Spectacle des plus captivant pour les passants, hypnotisés par leurs yeux rouges. Ces montures de cuirasses, de bronze et d’acier, dont les engrenages bien huilés ne laissaient entendre que le bruit de leur crins de chaînes, étaient parfaitement coordonnés, laissant place à un rutilant ballet de métal, ne craignaient ni la chaleur, ni l’humidité et il suffisait au cocher de s’arrêter dans un bois afin de recharger leur combustible.
    La cabine était chaudement capitonnée, équipée de lanterne dont la machine permettait l’éclairage et le chauffage pour les longs trajets d’hiver.
    Emma descendit la première, aidée par le marche-pieds téléscopique. Elle portait une longue robe agrémentée d’un corset de cuir, et sa chevelure flamboyante était cachée sous son haut de forme décoré de chaines et de plumes noires et rouges. On fut obligé de réveiller Charles dans son coin, où il s’était endormi complètement dès que la nuit était venue, bercé par le ballottement de la route, grâce aux ressorts à lames sont étaient équipées les 6 roues ou par la drogue, peut-être… Appuyé sur sa canne au pommeau d’argent, il descendit sous le regard d’Emma, sa chemise à col cavalière s’accordant parfaitement avec sa redingote de cuir camel laissant apparaitre son baudrier rempli de flacons d’apothicaire, ce que ne manqua pas d’attirer l’oeil d’Homais. Celui-ci se présenta ; il offrit ses hommages à Madame, ses civilités à Monsieur, dit qu’il était charmé d’avoir pu leur rendre quelque service, et ajouta d’un air cordial qu’il avait osé s’inviter lui-même, sa femme d’ailleurs étant absente.
    Homais demanda la permission de garder son bonnet grec, de peur des coryzas. Puis, se tournant vers sa voisine :
    — Madame, sans doute, est un peu lasse ? on est si épouvantablement cahoté dans notre Hirondelle !
    — Il est vrai, répondit Emma ; mais le dérangement m’amuse toujours ; j’aime à changer de place. (IIe partie, chapitre 1 et 2, extraits)

  2. Après l’épreuve du voyage, les nouveaux arrivants s’attablèrent à l’auberge du Lion d’Or. Ils commandaient une boisson rafraîchissante quand surgit, de l’échoppe d’en face, le pharmacien Homais. Cela ne pouvait être que lui car un kaléidoscope musical géant faisait apparaître sur la devanture de la boutique le nom Homais en lettres de feu, tout en diffusant une musique entraînante. Puis, alternativement, se succédaient des portraits rubiconds et flatteurs du propriétaire et des affiches publicitaires sur les produits faisant sa réputation. Tout ce bruit et toute cette lumière ne semblait pas déranger les passants qui se pressaient sur le trottoir. Charles pensa que la clientèle devait être bonne par ici, tout en se demandant si le bonhomme ne ferait pas concurrence à sa pratique.
    Ses ruminations furent interrompues par l’arrivée de l’aubergiste qui déposa sur la table les cocktails commandés. Ils étaient parfaits avec leurs trois strates colorées, verte, orangée et pourpre, et la paille fluorescente qui les accompagnaient.
    Ils provenaient d’une machine massive et rutilante qui occupait un bon tiers du mur au fond de la salle. Toute de verte et de cuivre, elle possédait des pistons argentés et de petites manettes colorées qui, si on les manipulait avec doigté, envoyaient en sifflant vers le plafond des jets de vapeur aux teintes pastel correspondant à celles des différents breuvages. Les liquides agités de mouvements browniens se devinaient derrière les parties vitrées d’une dizaine de gros cylindres cuivrés, et la rumeur de leurs clapotis parvenaient jusqu’aux consommateurs entre des jets de vapeur chatoyants et parfumés. Emma ferma les yeux et s’enivra de cette ambiance délétère jusqu’à ce que Homais s’incline devant eux en toussant.

  3. On entendit un vrombissement qui se rapprochait. Les habitants d’Yonville restaient indifférents, habitués depuis longtemps à l’arrivée de l’Hirondelle. Le bruit augmentait, jusqu’à devenir assourdissant. Le lourd dirigeable, immense, descendait vers l’espace qui lui avait été aménagé aux abords de la ville. L’engin crachait des jets de vapeur blanche, tandis qu’il touchait le sol. Les pales de ses hélices ralentirent alors et cessèrent peu à peu de hurler. La cabine de l’aéronef, rutilait dans soleil couchant, brillant de tous ses rivets. Un stewart en uniforme d’un blanc impeccable ouvrit la porte. Charles, d’une élégance parfaite comme à l’accoutumée, vêtu d’une longue redingote et d’un chapeau haut de forme, sortit le premier. Il tira sa montre à gousset et regarda le cadran, satisfait. Puis il donna la main à sa femme pour l’aider à descendre. Emma, dans sa crinoline rouge, était radieuse. On n’aurait jamais imaginé un couple mieux assorti. A peine étaient-ils tous deux descendus qu’un garçon vint s’emparer de leurs bagages. Ils apprirent plus tard qu’il s’appelait Hippolye, et que sa tâche habituelle consistait à alimenter en charbon les véhicules volants qui faisaient halte dans la commune. Il était reconnaissable à sa jambe, remplacée par une prothèse métallique qui faisait merveille : il galopait comme un cerf. On le voyait continuellement sur la place, jetpack sur le dos, sautiller tout autour des embarcations, plus vigoureux de cette jambe-là que de l’autre.
    Homais vint les accueillir. Il se présenta, demanda s’ils avaient fait bon voyage.
    – Ne perdons pas de temps en civilités, mon ami. J’ai dans mon sac quelques échantillons que vous mettrez en lieu sûr dans mon laboratoire.
    – Bien sûr, répondit, obséquieux, le pharmacien, qui prit avec précaution le sac que lui confiait le savant professeur. Homais se demandait de quels échantillons il pouvait s’agir, mais il n’osa pas demander. On racontait que le professeur Bovary, à Rouen, cherchait à mettre au point un procédé permettant de respirer sur la lune, dont on faisait alors la conquête. Se pouvait-il qu’il soit venu à Yonville pour poursuivre discrètement ses études ? Homais pensa qu’il avait tout intérêt à se montrer discret et serviable s’il voulait tirer profit de la situation. Il se tourna vers Emma :
    — Madame, sans doute, est un peu lasse ? on est si épouvantablement cahoté dans notre Hirondelle !
    — Pensez-vous, mon ami. Nous avions pris des Premières Classes. D’ailleurs, ne vous embarrassez pas pour le dîner, nous avons pris un repas copieux à bord. Et mon mari et moi, nous avons du travail.
    Sans lui adresser davantage la parole, les époux Bovary se dirigèrent vers le Lion d’or. Homais pensa qu’ils tramaient à coup sûr quelque expérience diabolique, ou quelque sortilège de magie noire.

  4. La nuit était sombre et poisseuse. Le pavé luisait d’une sorte de boue noirâtre et comme irisée de taches laissées par des huiles de toutes sortes. Les quinquets donnaient à la rue une teinte fuligineuse. Trois personnages cependant, vêtus de redingotes noires qui les enveloppaient complètement, coiffés de hauts-de-formes en cuir brillant, postés là, semblaient attendre devant l’officine de Homais.
    On distingua le bruit d’une voiture mêlé à un claquement de fers lâches qui battaient la terre, et l’Hirondelle enfin s’arrêta devant la porte.  Elle était conduite par un personnage bien extraordinaire. Ce cocher semblait hybride : mi-homme mi-machine, un casque en caoutchouc marron lui enfermait le crâne, rendu absolument rond. Un long foulard lui enserrait le cou et battait au vent. D’épaisses lunettes empêchaient de voir exactement ses yeux, démesurément agrandis par celles-ci dont on se demandait si elles n’étaient pas des loupes. Une sorte de groin de porc était le seul élément carné qui émergeait de cette face. Il était perché au sommet d’un banc étroit, surplombant la machine.
    C’était un coffre jaune et rouge porté par deux grandes roues qui, montant jusqu’à la hauteur de la bâche, empêchaient les voyageurs de voir la route et leur salissaient les épaules. Ils venaient de passer des heures sur la route, menés à un train infernal par ce cocher dont ils avaient entendu de temps en temps le rire lors d’accélérations qui semblaient absolument surnaturelles. La voiture allait si vite qu’elle semblait ne pas poser sur la chaussée dont personne ne sentait plus les pavés.
    Les petits carreaux de ses vasistas étroits tremblaient dans leurs châssis. Une commande mystérieuse dont le cocher avait actionné la manette avait baissé les rideaux de grosse toile enduite. Charles et Emma n’avait eu que le temps d’entendre « accrochez-vous » : quand la voiture était fermée, comme durant ce voyage, les seuls contacts que les voyageurs avaient avec l’extérieur étaient uniquement auditifs. Ils étaient assourdis par des cliquetis métalliques qu’entrecoupaient des sifflements qu’on aurait dit émanés de buses de vapeurs brusquement libérée. Lors des cahots ils ne pouvaient distinguer que les gardes boue de l’engin. Faits de bois noir, ils gardaient des taches de boue, çà et là, parmi leur vieille couche de poussière, que les pluies d’orage même ne lavaient pas tout à fait. Ils savaient que l’Hirondelle était attelée de trois chevaux, qu’ils devinaient galopant. Pourtant, impossible de ne pas avoir la sensation qu’ils s’élevaient de plus en plus haut au dessus du sol. Ces chevaux, dont le premier en arbalète, ne hennissaient plus, ils semblaient planer, encouragés parfois par les rires tonitruants du pilote. La voiture volante paraissait suivre une voie tracée, comme font ces attractions que les anglais appellent helter-skelter et dont Emma avait entendu parler en lisant un keepsake que lui avait prêté le club du « cochon rouge ». La voiture semblait escalader de longues rampes à vive allure et, lorsqu’on descendait les côtes, elle touchait du fond en cahotant. Elle fit une embardée en s’arrêtant devant la pharmacie.
    « Yonville, les voyageurs descendent… » intima le pilote d’un ton sans réplique devant les trois hommes étonnés par cette arrivée.

  5. L’arrivée à Yonville : portrait du sorcier apothicaire

    Mais ce qui attire le plus les yeux, c’est, en face de l’auberge du Lion d’or, la boutique de ce sorcier de M. Homais ! Le soir, principalement, quand son quinquet, lampe à huile annonçant son échoppe. Cette lampe connaît deux difficultés : les huiles, toujours trop visqueuses, peinent à monter dans la mèche par capillarité ; et la mèche tend à charbonner et à s’éteindre. Il faut sans cesse la surveiller pour éviter qu’elle ne s’éteigne ou ne déclenchent un incendie au bois encadrant la boutique. L’auberge du lion d’or s’inquiétait toujours des débuts de soirée à l’automne et l’hiver avec ce voisin inquiétant, capable du pire sous cet air étrange et avenant à la fois, Donc son quinquet est allumé et les bocaux rouges et verts remplis de grenouilles et de serpents flottant dans des liquides de conservation qui embellissent sa devanture allongent au loin, sur le sol, leurs deux clartés de couleur avec des formes longues ou rondes flottant à l’intérieur comme autant de médications diaboliques prétextant soigner fluxion de poitrine, coryza et autres covid 19. Alors, à travers ces bocaux, comme dans des feux du Bengale, s’entrevoit l’ombre du pharmacien, accoudé sur son pupitre, son visage maigre marqué par les rides et ses dents crochues apparaissant sous ces minces lèvres rouge sang gercées; sa fine mèche de cheveux gris perchée sur le haut de son crâne telle une corne de rhinocéros contenant peut -être cette prétendue substance aphrodisiaque. Cet homme semblait personnifier un sorcier diabolique prêt à détruire sur son passage tout être vivant pour les réduire et mettre en bocaux thérapeutiques. Sa maison telle un vaisseau terrien avec des cheminées sortant des orifices de la façade, des fenêtres aux vitres noires, des ailes de corbeau surmontant chacun des côtés la rendant comme prête à s’envoler, Cette échoppe est couverte du haut en bas et de gauche à droite ainsi que sur la toiture d’inscriptions écrites en anglaise, en ronde, en moulée : « Eaux de Vichy, de Seltz et de Barèges, robs dépuratifs, médecine Raspail, racahout des Arabes, pastilles Darcet, pâte Regnault, bandages ; bains, chocolats de santé, etc. » Et l’enseigne, qui tient toute la largeur de la boutique, porte en lettres d’or : Homais, sorcier soignant et apothicaire. Puis, au fond de la boutique, derrière les grandes balances scellées sur le comptoir, des paquets en toile de jute prétendus contenir des herbes, tisanes et autres médications, un hachoir en métal avec une grosse manivelle prêt à cracher des substances innommables de couleurs indéfinissables dont les vertus étaient censées soigner milles maux. Donc dans cette pièce reculée, le mot laboratoire se déroule au-dessus d’une porte vitrée qui, à moitié de sa hauteur, répète encore une fois Homais, en lettres d’or, sur un fond noir. Homme Obséquieux Malin Aberrant Indigne Savant.

Répondre à Agnès A. Annuler la réponse.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *