Atelier Flaubert n° 3 : Charles Bovary et la reine de Saba

Au cours de notre troisième séance flaubertienne, nous avons souhaité croisé les deux grands domaines de l’imaginaire flaubertiens: nous connaissons tous l’écrivain réaliste, le romancier des petits faits vrais, le peintre de la vie provinciale avec sa bêtise, ses mesquineries, son conformisme petit-bourgeois.  Mais connaissons-nous aussi bien le Flaubert épris de pittoresque oriental, de passions incandescentes et de cruautés sanguinaires, de trésors perdus, de parfums capiteux et de magie ancienne? C’est le Flaubert délicieusement décadent de Salaambô, c’est aussi celui de La Tentation de Saint-Antoine

Que se passerait-il si ces deux imaginaires en venaient à se croiser? Si, par exemple, la reine de Saba, figure de La tentation de Saint-Antoine apparaissait, rue Eau-de-Robec, au jeune Charles Bovary, carabin de retour du cabaret?
La proposition incongrue a donné lieu à quelques textes malicieux, drôles, gentiment irrévérencieux, mais qui venaient nous rappeler que le Maître lui-même ne se prenait pas toujours au sérieux.
Que vous ayez participé ou non à l’atelier, n’hésitez pas à poster votre texte en « Commentaire » ci-dessous.

3 commentaires sur “Atelier Flaubert n° 3 : Charles Bovary et la reine de Saba

  1. C’était un soir de novembre. Les rues étaient déjà presque désertes. Charles, à pas lents et veules, prenait le chemin de sa petite chambre, dans le misérable et sordide quartier des tanneurs, rue Eau-de-Robec. L’esprit vide, il songeait vaguement à la partie de dominos qu’il venait de perdre, et qui venait de lui coûter une somme coquette. Il se demandait comment il finirait le mois. Il se demanda aussi ce qu’il pourrait bien offrir à sa maîtresse du moment, Marengo Lirondelle. Accepterait-elle encore de le voir sans les cadeaux permanents dont il était contraint de la couvrir, et qui mettaient à mal le maigre pécule que lui octroyait mensuellement sa mère?

    Soudain, au coin d’une rue, il entendit une toux rauque.
    – Ceuf, Ceuf, Ceuf !
    – Madame, vous allez bien ?
    Charles vit une dame, légèrement vêtue, à la peau très mate, aux yeux très noirs, prise d’une quinte de toux. Elle était, chose étrange, suivie d’un éléphant et de petits êtres à la peau noire, que Charles n’avait jamais le long du Robec.
    La dame leva les yeux.
    – C’est toi, Antoine ?
    – Non, je m’appelle Charles.
    – Charles ? Ce n’est pas vrai, je me suis encore trompée de direction… C’est quoi cette puanteur ? Ces taudis ? Cette rivière qui charrie des produits chimiques ? On dirait que l’eau est couverte du pétrole qu’on trouve dans mon pays…
    – Vous êtes dans le quartier des tanneries, à Rouen, répondit Charles. Les cuirs qu’on laisse tremper dans l’urine et les colorants, évidemment, ça ne sent pas les pétales de rose, mais on s’habitue.
    – Rouen ? La Normandie ? Je me croyais encore dans un coin de l’enfer… C’est loin de l’Egypte, en tout cas. Les sorts de Méphisto ne sont plus ce qu’ils étaient. Le monde moderne ne vaut rien pour la magie.
    Elle se remit à tousser.
    – Laissez-moi vous examiner… je suis médecin.
    – Bah les pattes ! rétorqua-t-elle vivement. Dis donc, je te vois venir, avec tes grosses paluches. Non mais tu me prends pour qui, saligaud ? Tu crois que c’est pour toi que j’ai mis tous ces falbalas ? Si tu savais le temps qu’il m’a fallu pour m’attifer comme une princesse de l’Antiquité…
    – Et vous donnez un spectacle bientôt ? demanda Charles, aussi immobile que son cerveau était à l’arrêt.
    – Un spectacle ? Mais de quoi tu me causes?
    – Cet éléphant, ces nains, cette robe translucide un peu olé olé… Je vous ai reconnu, qu’est-ce que vous croyez.
    – Ah oui ? Tu m’as reconnu ?
    – Mais oui ! bien sûr ! Je vous ai déjà vue, avec votre éléphant.
    – Mais de quoi il me cause, celui-là ? Je suis la reine de Saba, petit blanc-bec ! D’où est-ce que tu m’aurais vue, crétin de Normand!
    – La reine de Saba, mais oui, le déguisement est très réussi… bon, les bijoux font un peu toc, j’ai vu les mêmes dans la quincaillerie de la rue du Gros Horloge.
    – Mais quoi, vraiment, tu n’es pas sensible à mon charme ? Sensuelle, langoureuse, voluptueuse… La reine de Saba ! Ne dis pas que je ne te plais pas. Une femme si belle!
    – Hum, je préfère les filles plus… normandes, vous voyez. Moins maigrichonnes, et plus pâles. Et cette parade ?
    – Mais quelle parade ?
    – Mais celle du cirque Raincy ! Je vous ai reconnue tout de suite, j’ai vu vos animaux sauvages à la Foire Saint Romain, la semaine dernière… Vous êtes la patronne du cirque, et vous faites le tour de la ville avec vos bêtes pour tenter de ramener quelques clients. Mais à cette heure-ci, vous savez, il commence à se faire un peu tard, les provinciaux ne traînent pas dans les rues la nuit… Bon, d’ailleurs, ce n’est pas tout ça, mais puisque vous n’avez plus besoin de mes services, je vais essayer de retrouver mon amie, Marengo Lirondelle. Vous la connaissez peut-être, elle est danseuse de corde : un peu le même métier que vous, en quelque sorte, entre gens du spectacle…
    Et Charles s’en alla les mains dans les poches, tandis que que la reine de Saba repartit à cloche-pied, la figure dans les mains…

  2. Quand Charles Bovary rencontre la Reine de Saba

    Un soir d’automne assez chaud, Charles, las des dominos et émoustillé par un peu plus de vin qu’à l’ordinaire, quitta sa rue et le Robec pour le Boulingrin et la Foire Saint Romain. Ces lieux bruyants ne lui étaient pas familiers mais depuis quelques temps, il prenait des libertés avec les recommandations de Maman.
    Sa longue silhouette déambula entre les stands parmi les rires et les bousculades. Tout n’était que jupes virevoltantes, corsages échancrés, chevilles légères et pressées, soupirs, enlacements. Badauds bourgeois ou campagnards, ouvriers ou marlous se divertissaient en formant une ronde qui l’entortillait mais à laquelle il ne pouvait se fondre complètement, ni échapper. Il se laissa donc porter par le hasard, suivant les yeux ou les pas d’une brune plus délurée ou d’une blonde rougeaude. Ainsi, il échoua près d’une petite baraque bariolée sur laquelle un écriteau promettait : « Bonne aventure, Amour. Avenir. Santé… La Reine de Saba vous dira tout – 10 francs ».
    Juste à ce moment, un homme surgit de la tenture qui servait de porte. Ses oreilles étaient rouges et il s’éloigna en triturant sa casquette sans que Charles n’ose l’interpeller. Alors il resta planté là, se dandinant d’un pied sur l’autre. Un bras apparut entre les pans d’étoffe mordorée et une main délicate l’invita à entrer dans un cliquetis de bracelets. Charles, happé par ce signe du destin, ne résista pas.
    L’intérieur était moite et tamisé ; des bougies auréolaient de feu des coussins rouges et verts, des tapis d’orient suspendus, des lanternes cloisonnées, des cuivres et tout un capharnaüm qui rendait l’espace minuscule. La Reine de Saba trônait devant des cartes étalées sur une table près d’une boule de cristal et de petits encensoirs. Ses yeux semblaient ceux d’un serpent hypnotisant sa proie.
    « Donne-moi l’argent »
    Charles s’exécuta, comment résister à une aventure orientale ?
    « Maintenant donne-moi ta main gauche, beau jeune homme solitaire »
    Charles s’assit et obéit en bredouillant quelques mots.
    « Ne dis rien, je vois… je vois et je sens le destin qui va s’abattre sur toi. L’amour ? Oui le grand amour mais pas tout de suite, d’abord la raison. Je vois deux mariages. Oh ! Je vois une belle femme que tout le monde t’envie. Prends garde cependant, autour de toi il y a des problèmes de santé, des obstacles… »
    Mais Charles n’écoutait plus. Il était noyé dans deux yeux noirs qui le fixaient de l’autre côté de la table. Il y voyait à la fois des déserts, des chameaux, des pierreries, des éléphants, des bateaux sur le Nil, des pyramides… Puis il se vit, lui, Charles Bovary, dans le grand livre des saints, dans les légendes dorées, lui, tout seul, tenté par une multitude de créatures langoureuses inventées par l’enfer qui prenaient corps dans cette femme frêle et diabolique.
    Alors il se décida ou plutôt ne résista plus. Il reprit sa main, sortit son portefeuille et balbutiant, réussit à dire : « Combien ? ».

  3. 10/03/21 la reine de Saba- tentation de Saint Antoine
    Charles s’éloignait de plus en plus l’étude de la médecine et commençait à découvrir les plaisirs de la vie, Il gouttait aux alcools qui l’enivraient le rendant rêveur, ouvrant ses phantasmes aux plaisirs des femmes. Allez outre, il n’osait pas étant donné son jeune âge et le qu’en dira t-on. Et pourtant le désir lui chatouillait le ventre comme des papillons le visitant, le chatouillant voluptueusement. Ses nuits étaient osées dans sa modeste couche quand il se mettait à laisser son esprit divaguer revoyant ces belles femmes attirantes , joliment vêtues, habillement fardées, savamment coiffées, séduisantes et séductrices à souhait, croisées à l’estaminet habituellement fréquenté.

    La question ne cessait de monopoliser son esprit : quand oserai-je aborder celle qu’on nommait La Reine de Saba ? Comment faire ? Que lui dire ? Comment la séduire ? Obtenir quelques faveurs de sa part ?

    C’est elle qui vint vers lui, prenant l’initiative, ce mercredi soir alors qu’il était attablé avec ses amis jouant aux osselets et dégustant des boissons qui font perdre la tête. Elle voulait le dépuceler, ce serait une joie pour elle de jouer l’initiatrice auprès de ce très jeune et beau jeune homme. Un de plus à son tableau de chasse. Elle se glissa derrière lui, alors qu’il était absorbé par le jeu, caressant sa nuque et approchant sa tête de son décolleté . Son but : le troubler. Elle réussit son plan : il perdit la partie ému et tremblant de tout son corps, ne parvenant plus à se concentrer. Elle lui chuchota de sa plus douce voix dans l’oreille – laissant Charles respirer son parfum capiteux et poudré à lui en faire tourner la tête – de quitter ce jeu stupide et de venir l’accompagner dans un petit salon pour partager un verre et faire connaissance. Charles troublé fit semblant de ne pas entendre l’offre de la Reine. Elle se fit insistante, très insistante approchant ses formes flatteuses du dos de Charles, la soie de sa robe, ses colliers affleurant lui donnaient des frissons.

    Charles n’y tenant plus se leva, quitta la table de jeu et suivi la Reine. Elle le mena dans ce petit salon évoqué précédemment. C’est là que Charles se cabra, ne lui laissant pas le temps d’entamer son petit jeu de séduction ; il se fâcha rouge lui reprochant de lui avoir fait perdre la partie et le mettant dans l’embarras financier. Il tourna les talons pour quitter la taverne Saint Amand pour rejoindre sa petite chambre sous les toits et se glisser sous son édredon dodu. La reine a la peau satinée, aux cheveux bouclés, aux yeux noir de jais lui saisit la bras pour le retenir. En vain.
    Agnès A

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