Annie Saumont (1927-2017) : quelque chose de la vie

Annie Saumont

Annie Saumont nous a quitté le 31 janvier 2017. Nous déplorons la disparition d’une nouvelliste exceptionnelle, qui était aussi une amie de Fictions. Nous l’avions notamment reçue à Rouen le 14 juin 2010 : elle était revenue, à l’invitation de l’association Fictions, dans la ville où elle avait grandi, pour rencontrer les étudiants de l’Université et pour donner lecture de quelques unes de ses nouvelles devant un public de fidèles qui en gardent un souvenir ému. Alain Cresciucci (auteur de Jacques Laurent à l’œuvre chez Pierre-Guillaume de Roux en 2014 et Les Désenchantés chez Fayard en 2011) avait présenté Annie Saumont avant la lecture et avait engagé avec elle un dialogue passionnant sur son œuvre et même sur sa pratique d’écriture, ce qui tient de l’exploit quand on connaît la réticence légendaire d’Annie Saumont à parler d’elle-même et tout particulièrement de sa technique d’auteur de nouvelles! Tous ses passages à la télévision, que l’on peut aujourd’hui revoir sur internet, confirment la résistance qu’elle opposait aux questions de journalistes sur le travail de l’écrivain. Face aux caméras, elle ne répond que de très faibles « peut-être », ou « je ne sais pas »…

mot d'Annie Saumont
Un mot d’Annie Saumont pour l’atelier de littérature Fictions

Nous avons eu la chance de recevoir, en plus de la visite d’Annie Saumont, le soutien de cette grande dame au savoir-faire exceptionnel dans l’art de la nouvelle. Elle a suivi avec intérêt et bienveillance le développement de l’atelier de littérature Fictions. Annie Saumont a écrit plus de trois cent nouvelles et publié plus de trente recueils. Sa frêle apparence contrastait avec la radicalité de son écriture et avec la vigueur de ses textes qui n’ont rien perdu avec le temps de leur caractère percutant.

Nous aimons Annie Saumont parce qu’elle avait l’immense talent de raconter la vie des gens simples, de donner la parole à ceux qu’on n’écoute pas, à ceux que les belles phrases et les grandes phrases tiennent d’habitude à distance. Nous aimons Annie Saumont pour son sens du rythme, pour l’oralité qui bouscule le lecteur, pour les fêlures qu’elle met en évidence dans la vie avec une tristesse qui n’exclut jamais une certaine forme de joie.

Pour nous guider dans cette année 2017 que nous allons placer sous le signe de la nouvelle, et pour nous rappeler la voix fragile et forte d’Annie Saumont, voici quelques citations de cette admiratrice de Cortazar qui ne passait pas une journée sans écrire (citations extraites de l’article du Monde daté du 1er mars 2012, « Annie Saumont, le verbe bref ») :

« Je ne sais pas écrire de roman. Il faut entrer dans des explications, voire dans la psychologie, il faut échafauder toute une construction, cela ne me convient pas. Ce qui me plaît, c’est la nouvelle très courte. Pas de psychologie mais de l’observation, des situations, un dénouement parfois, pas toujours, je ne veux pas être l’auteur omniscient, je veux un lecteur actif. »

« Les lecteurs préfèrent les romans, car ils peuvent être plus passifs, se laisser porter. La nouvelle, il faut se l’approprier. Et il faut parfois inventer soi-même la fin, car elle est restée en suspens. »

« Moi, je ne travaille pas sur le fantastique, mais sur l’observation du quotidien. Je traque les choses qui arrivent comme par inadvertance. J’aime faire surgir une ambiguïté, susciter une sorte d’inquiétude. Il faut qu’il y ait une tension dramatique, sinon c’est raté. C’est presque comme une petite pièce de théâtre. C’est un instant, un point, un incident, un moment de rupture. »

« Je trouve que ce [mon travail] n’est jamais parfait. Mais il faut bien à un moment décider d’arrêter. Parfois, après plusieurs semaines sur la même nouvelle, je laisse tomber. Puis je reprends plus tard. »

« Très peu de mes textes sont noirs, et surtout pas au sens qu’on donne à « roman noir ». Je montre souvent des moments où les choses basculent, où quelque chose se casse, où quelqu’un chute. Mais certaines fois, cela se renverse positivement. Comme dans la vie. Toutefois, quand tout va bien, il n’y a pas grand-chose à dire, tout est lisse. »

Quelque chose de la vie
MERCI ANNIE SAUMONT !

Pour reprendre le titre d’un recueil d’Annie Saumont, il y a « quelque chose de la vie » que nul mieux qu’elle n’a su percevoir et donner à entendre. Le meilleur hommage que nous pouvons rendre à Annie Saumont est de la lire, de la faire connaître, et de travailler à faire aimer le genre de la nouvelle. Ce à quoi Fictions va s’employer avec vous tout au long de l’année 2017!

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