Vivement ce week-end !

L’exercice du mois consiste à imaginer une histoire à partir d’une page arrachée à un agenda. La proposition suivante peut bien sûr être amendée ou complétée à discrétion. Les différentes situations auxquelles le personnage sera confronté au cours de cette (folle?) semaine permettront, comme dans l’exercice précédent, de révéler la personnalité du héros, ou de l’héroïne…

Celles et ceux qui le peuvent, et le souhaitent, seront les bienvenus demain à l’atelier. Les autres peuvent participer à distance, et laisser leur texte dans la section des « commentaires ».

4 commentaires sur “Vivement ce week-end !

  1. Lundi matin
    La fin de la semaine, ça va être la fin du monde.
    Je ne sais pas ce qui m’a pris. Pourquoi ai-je proposé à tout l’atelier d’écriture une randonnée à vélo le week-end prochain? Je pensais qu’ils croiraient à une plaisanterie… Mais non! Ils m’ont pris très au sérieux. Nous sommes censés nous retrouver samedi prochain, sur le parking du Carrefour de La Vatine, avec la tente et tout le barda, pour une randonnée de deux jours sur les sentiers du chasse-marée. En plein décembre, je vous demande un peu. Comment vais-je bien m’y prendre pour y échapper?

    Lundi soir
    Toujours plus loin, c’est ma devise. L’aéroport me fait toujours ce même effet. Une même envie de partir, presque irrépressible. Fuir. Echapper à la perspective de cette randonnée cycliste… Je contemple les avions qui atterrissent et décollent. Ca y est, j’aperçois Chloé. Elle vient de passer le week-end chez sa mère. Je l’enlace, je l’embrasse, nous nous apprêtons à rentrer à Rouen. Mélancolique, je jette un dernier coup d’oeil aux Boeing et aux Airbus dont les feux scintillent dans le ciel déjà noir de cette fin d’après-midi.

    Mardi soir
    Les jours filent… Il faut vraiment que je trouve une solution pour échapper à cette stupide randonnée. Elle m’obsède de plus en plus. Camper en plein hiver avec cette bande d’allumés du stylo, très peu pour moi.
    J’ai déjeuné avec Hélène. Elle me dit que je suis trop tendu, et que je devrais passer à son cabinet de kinésithérapeute. Evidemment que je suis tendu, avec ce week-end pourri qui s’annonce.
    Sans compter Janine. « Eh voilà, tu n’as plus qu’à lui offrir des fleurs, à Janine, maintenant », m’a expliqué Chloé. Comme si je n’avais que ça en tête!

    Mercredi
    Noël approche. Le moment le plus pénible de l’année. Offrir des cadeaux à tout le monde… quel gaspillage. Encore les mômes, passe encore, mais les adultes? J’ai noté sur ma liste: ‘ne pas oublier G.J.’. Mon problème, ce sont les abréviations. Je n’ai plus la moindre idée de ce que j’ai voulu dire. Tant pis. Je suis rentré le coffre rempli de cochonneries, mais sans G.J. Du moins, je ne pense pas.

    Jeudi soir
    J’ai bien cru que j’étais sauvé.
    — Aïe!
    — Voilà, c’est fini. Je suis sûr que vous n’avez rien senti.
    — Hum, ça va, Docteur, ça va. Et maintenant?
    — Eh bien maintenant vous allez me donner votre carte verte.
    — Oui, mais… vous ne me prescrivez pas quelques jours de repos, bien au chaud?
    — Pour un vaccin contre la grippe? Allons donc, c’est sans effet secondaire. Allez donc profiter du grand air.
    Je suis rentré chez moi, le bras à peine endolori. Il faudra trouver autre chose.

    Vendredi après-midi
    Je pars demain, et c’est presque un soulagement. Je n’en peux plus. Je ne supporte plus Janine. « Trouve-lui des fleurs », m’a répété Chloé. Comme si c’était facile. J’ai fait la tournée des fleuristes. Ils m’ont tous regardé avec des yeux ronds. « Vraiment, vous n’avez pas quelques vieilles fleurs fanées dont vous voulez vous débarrasser? », demandais-je à chaque fois. « Vous comprenez, c’est pour Janine ». Mais visiblement, ils ne comprenaient pas. Je n’allais pas lui offrir un bouquet de roses rouges, non plus, à Janine.

    Vendredi soir
    J’ai dîné avec Alban. J’ai laissé Chloé en tête-à-tête avec Janine. Elle a dû trouver ça bizarre, mais elle n’a rien dit. Il fallait que je lui parle sérieusement, à Alban. C’est un type qui vient régulièrement à l’atelier. Il m’agace. Une écriture précise. Le sens de la formule. L’adjectif qui tombe avec la même élégance que sa veste à la dernière mode. Oui, il m’agace.
    — Bon, Alban, on laisse tomber pour demain? C’était juste une connerie?
    — Penses-tu! Tout le monde est fin prêt. Tu ne vas pas reculer maintenant. Demain matin, 8h, à la Vatine, comme prévu. Sur le parking de Carrefour.
    Je soupirai. Je ne voyais plus d’échappatoire pour m’épargner cette torture de deux jours et une nuit.
    En rentrant, je passai devant un cimetière. J’entrai furtivement, et je dérobai à la sauvette devant une tombe quelques chrysanthèmes défraîchis qui traînaient depuis la Toussaint. L’occupant du caveau ne m’en voudrait pas. Et il me les fallait vraiment, ces fleurs. Chloé parut satisfaite. Janine les a dévorées de bon coeur dès qu’on les a posées dans sa cage. Pauvre lapine. Quand elle est déprimée, elle ne peut manger que des fleurs. Certains couples ont des mômes. Nous, nous avons Janine.

    Samedi.
    G.J.! Mais bien sûr! Je m’en suis souvenu dès que je suis arrivé sur le parking de Carrefour… G.J. pour gilet jaune. Il m’en fallait un pour cette stupide expédition. J’étais le seul du groupe à ne pas arborer cette seyante tunique jaune fluo. Alban et les autres cyclotouristes portaient fièrement cet accessoire indispensable à la sécurité du cycliste.
    C’est à ce moment que les flics sont arrivés, sirènes hurlantes, et les ont tous embarqués sans leur laisser le temps de s’expliquer.
    Toujours plus loin! Moi, je suis rentré, et j’ai pris Janine sur les genoux.

  2. Lundi 10 décembre, 17 h 06

    Le lundi, Franck en a toujours eu horreur. Depuis le collège, dès que sa mère le réveillait en le secouant proprement, ses premières pensées étaient pour le bahut. Et une angoisse lui serrait les tripes. Alors, quand sa sœur, Axelle, lui racontait tout ce qu’on faisait aux petits sixièmes, il n’avalait pas une bouchée avant de prendre le bus. Le vacarme au-dessus lui fit tourner la tête et le sortit de ses rêveries. La dernière fois qu’il est allé près d’Orly, c’était pour l’enterrement de sa tante Janine. C’était il y a un an, mais quelque chose lui retournait encore le cœur lorsqu’il s’approcha de la grande pierre tombale. Il revit la famille agglutinée autour d’elle, sa pauvre tata, et chaque rose qu’on lançait sur son cercueil lui perçait secrètement l’âme. Beaucoup pleuraient. Pas lui. Il se l’interdisait. Le chagrin remontait jusque dans sa glotte et lui donnait presque la nausée, mais il n’avait pas cédé. Chialer devant ces hypocrites ? Plutôt crever. Son mari fit passer du Piaf pendant la cérémonie et sa sœur chantait avec elle. Elle chantait si bien que Franck crut devoir s’éclipser pour exploser. Il tint bon. L’ambiance d’Orly donnait une drôle de mélodie C’était ça la vie chez Jeanine. Des avions qui impressionnent quand on est gosse. Vous ouvrez les yeux et la bouche comme des soucoupes. Adultes, vous fermez les oreilles autant que possible. On s’y habitue.

    ***

    Mardi 11 décembre, midi et trente-huit minutes.

    Le lendemain, Franck se rendit dans son atelier. Hélène lui avait donné rendez-vous autour de midi et comme d’habitude, il dut attendre une bonne demie-heure entre ses pinceaux avant de la voir débarquer. Elle était radieuse, complètement décoiffée, haletante mais affreusement belle. Franck sentit, simplement en la voyant, qu’il arriverait à faire quelque chose ce jour-là. Une douce impression remplissait son esprit, et une folle envie de s’y mettre, et vite.
    — Installe-toi, on va commencer.
    Hélène lui sourit, elle n’avait pas besoin de parler, d’exprimer quoi que ce soit. Son corps suffisait, et Franck le savait. Elle fit glisser sa robe le long de ses cuisses et s’installa dans le divan, entre les coussins.
    « Merde, elle est vraiment belle… »
    Franck posa les yeux sur elle, quelques instants, ses yeux de garçon. Il observa ses cuisses, ses bras parfaitement fermes, sa bouche et ses yeux noirs. Elle était pour lui l’incarnation parfaite de la femme diablesse, tentatrice, fatale qui ferait d’un homme ce qu’elle voudrait. Il sentait le charme qu’elle dégageait autour de lui et reprit ses yeux d’artiste avant de se trahir. Des femmes splendides, il en avait déjà peint, mais Hélène était différente, son corps allait plus loin, ce qui émanait d’elle repoussait tout ce qu’il avait pu déjà peindre. Et il n’aurait pas su dire d’où ça venait. C’était même au-delà du corps, tout son être inspirait quelque chose de particulier. Elle était unique et pour rien au monde, il ne l’aurait laissée filer. Son doigt trembla légèrement lorsqu’il dessina les courbes de son corps sur la toile blanche.

    ***

    Mercredi 12 décembre, 16 h
    Une envie irrésistible de vomir. Franck était bousculé, devant, sur les côtés. Il en aurait bien baffé un ou deux. Les gens deviennent fous pendant les fêtes, déjà que d’ordinaire, c’est pas terrible, mais alors là… Il s’avança péniblement vers le stand de bijouterie. Axelle fêtait ses 28 ans le vendredi.
    — Monsieur, je peux vous aider ?
    Franck eut le temps de poser les yeux rapidement sur les bracelets, les boucles d’oreille, les colliers. Sur leur prix aussi.
    — Je vais prendre les boucles d’oreille en argent. Celles à 123 €.
    Le bijoutier était ravi, forcément.
    À ce prix, il faut que ça lui plaise, absolument, et qu’ils ne s’engueulent pas d’ici là. Il hésita une seconde. Qu’est-ce qu’il ferait d’une paire de boucles d’oreille ? Hélène ? Oui pourquoi pas…

    ***

    Jeudi 13 décembre, le soir.
    La ruelle était sombre et puait la pisse. Franck avait froid, avait hâte que ça se termine. Il regardait sa montre, il était en avance. Le vent froid s’engouffrait sous sa veste, le mordait au cou et aux oreilles, lui donnait des frissons. Ses mains étaient creusées par le gel. Un bruit de moteur lui fit tourner la tête. Il reconnut la bagnole. Georges et Jean en descendirent l’air aussi glacial que la brise. Ils rejoignirent Franck. Georges alluma une Caporal.
    — Alors Franckie, tu nous racontes quoi cette semaine ? Tu as fait ce qu’on t’a demandé ?
    Franck sentait ces deux gaillards autour de lui comme une menace, le genre de paroles doucereuses qui vous retournent les tripes. Jean, surtout, l’impressionnait, c’était un géant. Bien sûr qu’il l’avait fait, le lycée était assez grand pour ne pas se faire repérer. Il sentait la grosse enveloppe dans sa veste former de la chaleur sur ses poumons.
    — Amène le fric.
    Franck obéit et sortit l’enveloppe. Jean, qui n’en avait pas dégoisé une commença à compter les liasses. Ses grosses mains l’empêchaient d’être précis, il s’y reprit à plusieurs fois pendant que Georges gardait à l’oeil Franck en lui souriant.
    — C’est vrai que tu dois bien te fondre dans la masse, t’es aussi robuste qu’une brindille. Une brindille percée. T’as eu combien de clients ?
    — Une vingtaine.
    Georges souffla.
    — Merde, t’entends ça, le gros ? Vingt mômes prêts à bousiller leur vie pour un voyage. Bientôt, ils seront pourris jusqu’à l’os. Ça deviendra vite des clients réguliers, compte là-dessus. Caresse-les dans le bon sens, mais oublie pas, le bizness, c’est nous qui fixons les prix.
    Jean ricana.
    — Si tu veux qu’on te foute la paix, tu fais ce qu’on te dit, morveux, ou je t’assure que ta jolie sœur risque d’avoir de gros ennuis.
    Franck tressaillit. Pas Axelle, lui oui, tout ce qu’ils voulaient, mais pas elle.
    — Touchez-la et je….
    La main de Jean tomba sur son visage, une main lourde et moite qui puait la clope. Il se redressa pendant que Georges secouait la tête. Sa bouche saignait.
    — Tss, tss… Ferme-la Franck. On ne touchera pas à ta frangine si tu t’en tiens au deal. Mais si tu fais le con, si tu essaies de nous entuber, Jean baisera ta sœur jusqu’à ce qu’elle en crève.
    Le gros mima un geste obscène. Franck sentait une violence en lui presque incontrôlable, une haine qui gonflait comme un ballon. Il les laissa s’éloigner avant de fondre en larmes, comme un gosse.

    ***
    Vendredi 15 décembre, 20h

    Le Rythm’n Food était, d’après les rumeurs, le meilleur restaurant de burger de Rouen. Franck était un client habitué, et venait tous les vendredis se payer un bon Folk Low groovy. Ce soir-là, il avait réussi à persuader Axelle de le suivre. Elle était déjà là, devant la devanture. Son sourire s’effaça au fur et à mesure que Franck se rapprochait.
    — Qu’est-ce qui t’es arrivé ?
    — Mauvaise chute.
    Franck se tenait la mâchoire encore bleue. Axelle n’en croyait pas un mot, son frère n’était pas un bagarreur et elle ne savait pas exactement ce qu’il trafiquait, elle ne voulait pas savoir, mais il était évident qu’il s’était pris un poing. Ils s’installèrent au comptoir et commandèrent chacun un burger bien frais. Franck sortit sa surprise, peu sûr de lui et tendit l’écrin à soeur qui croquait avidement dans le pain moelleux.
    — Joyeux anniversaire.
    Axelle s’arrêta net. Franck ne lui avait rien offert depuis le collège, et encore, il s’agissait de farces débiles qui provoquaient de belles bagarres dans la maison familiale. Elle posa son burger, bredouilla quelque chose. Elle ouvrit l’écrin et resta un instant immobile à contempler le bijou.
    — Franck, tu es dingue, c’est…
    — Chut, tais-toi et essaye-les.
    Par chance, car Franck ne s’était même pas posé la question, elle avait les oreilles percées. Elle enfila les boucles.
    — Ça te va très bien, tu es ravissante.
    Axelle embrassa son frère. Elle se dit qu’elle pouvait lui parler, à lui, puisqu’elle n’avait personne d’autre.
    — J’ai rencontré quelqu’un.
    Une belle couleur rouge colora ses joues pendant que Franck la fixait. Il s’en fichait pas mal avec qui elle baisait, mais si elle lui en parlait, c’était pas n’importe qui. Il lui sourit pour l’encourager à poursuivre.
    — Il s’appelle Henri. On s’est rencontré lors d’une conférence il y a trois mois à peu près. Il est professeur de littérature.
    — Enfin un garçon avec un peu de Q.I. !
    Axelle lui frappa le bras.
    — Il enseigne où ?
    — Au lycée Val de Seine à Grand-Quevilly. Là où ça craint.
    Franck avala de travers sa bouchée. Une angoisse sourde lui serrait l’estomac. Bien sûr qu’il savait où c’était, il y était encore la veille à marchander avec les gamins… S’il se faisait choper, s’en était fini de tous ses trafics. Franck ne laissa rien transparaître et finit son dîner sans rien rajouter.

    ***

    Week-end du 16 décembre, tôt le matin.

    Il le savait. Il le savait bien que c’était une connerie. C’était toujours comme ça. Axelle était loin devant, il voyait son sac rouge, un petit point dans la verdure et le brouillard. Merde, elle le savait bien qu’il était nul, qu’il n’avait pas mis le cul sur un vélo depuis la primaire. Et elle avançait comme une forcenée. Franck sentait ses poumons prêts à exploser, et, quand il vit la montée qui l’attendait, il laissa échapper un grognement de colère. Il appuyait si fort sur les pédales qu’il sentait chacun de ses muscles se tordre de douleur. Il respirait comme un phoque. « Je vais crever, je vais crever ». Cette phrase tournait en boucle pendant que le vélo avançait péniblement sur le bitume. Arrivé en haut de la côte, il laissa ses jambes récupérer et la douce sensation du repos le fit sourire. Il regarda au loin, dans le brouillard. Impossible de voir quoi que ce soit. Impossible de voir Axelle.
    — Putain, fais chier…
    Franck repartit doucement. La route était plus agréable, moins sinueuse. Soudain, il reconnut le point rouge familier. Mais il ne bougeait pas et Franck s’en rapprochait très vite. Trop vite. Il devina une forme à terre et comprit qu’il s’agissait du vélo d’Axelle. Il appuya aussi fort que possible sur les pédales même si ses jambes s’engourdissaient, sa respiration devenait suffocante quand il arriva au vélo.
    Il n’y avait personne, un sac, un vélo et une tâche de sang. Rouge comme le sac.

  3. Le récit fantastique d’une métamorphose

    Mon désir grandissait peu à peu à mesure que les journées passaient et se rapprochaient du départ.
    Tout était planifié pour que je prenne ce fameux vol en direction de Londres et qui était programmé pour 17 heures le lundi suivant.
    Mais le prendrai-je ?

    A la lecture de mon agenda, je réalisais ce matin que j’avais annoté dans l’encadrement de celui-ci des initiales ‘GJ’.
    J’étais dans l’incapacité de me rappeler leur signification… cela me reviendrait plus tard j’en étais certain…
    Les rendez-vous pris de cette semaine s’annonçaient palpitants, changeant un je ne sais quoi d’inhabituel !
    Je repensais à une réplique tirée de ‘l’Iliade’ de Homère…
    ‘D’où qu’il vienne, l’homme courageux est celui qui accomplit le mieux tout ce qu’il fait’.

    Je devais penser toujours plus loin… jusqu’au bouquet de fleurs que j’offrirai à Janine…
    ma nanny bien aimée, que j’avais conviée pour un diner ce jeudi pour 18 heures dans le loft que j’avais loué pour ce long weekend et qui était équipé d’un réfrigérateur américain (détail !) Mais qui était d’importance en fonction des courses que j’allais effectuées le mercredi, Janine étant une cuisinière hors pair et qui avait toujours mis un point d’honneur au principe du ‘bien manger’.
    Elle répugnait ces repas hâtifs que j’apportais (Fast Food) et que je partageais avec cette fille ‘Cassandre’, qui avait partagé nos repas pendant mes années universitaires.
    Débarquée d’une voiture un soir de novembre, habillée d’une tenue des plus tapageuses, révoltée, rebelle, je l’avais embarquée avec moi et emmenée chez Janine qui n’avait posé aucune question.
    Elle n’en était jamais repartie et le mystère restait…
    Mon désir inconscient de la retrouver me rendait dans l’incertitude de ces retrouvailles.
    Etait-elle la même ? Serait-elle présente avec Janine ?
    Allait-elle m’accueillir comme elle l’avait fait à chaque fois lors de mes dernières visites? Cela faisait tellement longtemps.
    Je devais mettre de côté ces pensées parasites et vivre ces instants particuliers qui s’offraient à moi.

    J’avais prévu cette entrevue à la ‘Library North’ mardi midi sur la fameuse avenue de Piccadilly Square pour présenter mon nouveau roman ‘Au loin’, écrit depuis la rencontre avec cette curieuse jeune fille rencontrée au hasard d’une rue, un soir de novembre…
    Ma proposition allait-elle les émouvoir ?
    Cesse de penser…

    Je me rassurais et pensais à ce merveilleux diner qui m’attendait avec A !
    Oui A !
    Je n’avais que cette lettre.
    Anonyme, Angoissante, Aguichante,…
    Mais prendrai-je ce vol ?

    Qui était-ce ? Elle ou lui ?

    J’avais reçu ce courrier deux jours auparavant, ce A me proposait de partir m’enivrer au détour des chemins de la capitale romaine ‘Colchester’ exactement là où se trouvait l’université où j’avais étudié.
    Etrange ?

    Ma curiosité insatiable m’obligeait à aller plus loin que je ne l’avais imaginé.
    Un leitmotiv étourdissant, un manque déstabilisant… que ce mystère qui m’avait hanté depuis si longtemps et qui allait je l’espère trouver un sens.
    Ces lettres envoyées jadis et qui n’avaient jamais cessé d’arriver et qui reprenaient toujours cette même phrase ‘Prendras-tu ce vol ?’.

  4. Samedi 17 décembre
    Un coup. Puis un autre. Et encore un autre. La bouche grande ouverte avec le bête espoir d’aspirer plus d’air pour apaiser ses poumons en feu, Augustin appuie sur la pédale. La côte est raide et ses cuisses douloureuses. Il sait bien qu’il grimace et il a beau avoir enfilé sa tenue toute neuve estampillée d’une équipe renommée, il est très conscient d’avoir vraiment l’air débile à souffrir comme un âne pour gravir une côte finalement inutile à gravir. Si, une raison, en baver, sentir son corps douloureux afin d’évacuer la semaine.
    Lundi, après un week-end de séminaire entre managers bouffis d’orgueil à subir des intervenants rasoirs dans un hôtel grand luxe de Sardaigne, il avait atterri à Roissy les nerfs encore à vif. Entendre ses collègues se gargariser de leurs chiffres : « Combien de MRH ? Laisse tomber, j’ai explosé le plafond BAV de 12%. Mon équipe a fini première au challenge VAD avec plus de 30 000 ! », se congratuler à coup de tapes dans le dos et de coupe de champagne levée bien haut, voir leurs sourires carnassiers s’étirer à mesure qu’ils déballaient leurs réussites comme autant de gamins gagnant aux billes, ça l’avait mis en rogne. L’an passé, à ce même séminaire réservé aux chefs d’agence et à leurs supérieurs, il se sentait un vrai poisson dans l’eau. Cette année, il était de l’autre côté du bocal et de se reconnaître en eux l’avait mis très mal à l’aise. Son directeur lui en avait d’ailleurs fait la remarque au cocktail du dimanche soir.
    — Voyons Faïeul, déridez-vous un peu ! Vous êtes tout autant, voire plus performant qu’eux tous.
    — Peut-être. Un tel compliment venu de son N+2 aurait dû le faire bander. Là, c’était tout le contraire.
    — Je vous l’affirme ! Réjouissez-vous et profitez des plaisirs que nous offre la boîte. Vous l’avez amplement mérité.
    — Mouais… le champagne avait un goût amer.
    Le temps de récupérer ses bagages et la voiture de service, il quittait l’aéroport à dix-huit heures. La région parisienne à cette heure-ci vous donne un avant-goût de l’enfer. Odeur de soufre, cacophonie des klaxons et des moteurs, chaleur moite d’une clim à l’arrêt et le blabla creux de chroniqueurs radios persuadés de faire avancer l’intellect humain, la chienlit en somme. Il était rentré chez lui à vingt et une heures pour retrouver Agathe déjà endormie dans le canapé devant une série décérébrante comme sait si bien les faire la première chaine.
    Ses coups de pédales se font plus hargneux. Ce n’est plus la côte qu’il monte mais l’exaspération accumulée qu’il évacue à chaque ahanement. Sa sudation aigre ? La preuve évidente de l’efficacité de son remède.
    Mardi, retour au train-train. Hurlement du réveil, douche, tartines, boulot. Une journée monotone, lisse, à l’image de tous les mardis depuis sa nomination au poste de manager d’agence. Pour le coup, il se sait de mauvaise foi. Le jour de sa promotion il avait éprouvé un réel plaisir, un sentiment de triomphe balayant tout sur son passage. Ce sentiment avait duré des semaines, des mois, des années. Il avait simplement remarqué un jour qu’il avait disparu. Il ne savait pas exactement quand il avait continué de vivre dans son souvenir plutôt que de réellement le ressentir. Lorsqu’il regarde dans le rétroviseur de sa vie, il éprouve un réel malaise, tout ce qui lui paraissait bien lui apparaît à présent… vain. Quel sommet a-t-il atteint ? Une côte dans la Forêt Verte son cul posé sur un vélo à trois mille balles. Belle réussite ! Il siffle machinalement, perd son souffle, manque de s’éclater sur le bitume avant de rattraper le guidon in extremis. Augustin veut croire qu’il exagère.
    Il y avait eu ce déjeuner avec Hélène, une ex qu’Agathe ne pouvait souffrir et avec laquelle il entretenait une amitié sincère depuis huit ans que leurs chemins s’étaient séparés. A elle, il peut tout dire. La réciproque est tout aussi vraie. Pour la première fois, il avait fait part de ses doutes, de ce malaise insaisissable qu’il éprouvait sans réussir à le cerner.
    — J’ai l’impression de subir ma vie, balança-t-il entre le plat et le café.
    — Tu veux dire quoi ?
    — Je ne sais pas… L’impression de ne pas être au bon endroit au bon moment, enfin là où je devrais être, comme une dissonance entre moi et mon reflet. Quand je lève le bras droit, il lève le bras droit. Ça colle pas. Enfin un truc dans le genre.
    — C’est le boulot ?
    — Le boulot, Agathe, l’appart, le matin et le soir, les gens, un peu tout en fait, et rien en même temps. Je sais pas trop en fait. Je crois que tout me soule.
    — Tu serais pas en train de nous couver un burn out toi ? Lui avait-elle demandé, mi-figue, mi-raisin.
    — Tu crois ? Un pli d’inquiétude avait barré son front.
    — Ce genre de situation et de ressenti, ça arrive avec le surmenage.
    Elle n’était pas médecin, elle était comptable, mais son diagnostic le rassura. Tout était normal. Il s’emmerda donc tout l’après-midi l’esprit serein.
    La journée de mercredi, à peine y pense-t-il que ses doigts se crispent sur le guidon, sa mâchoire se serre, manquant le faire étouffer. Il y avait eu la journée de boulot, longue, interminable, passée en sourires hypocrites et en conseils facturés, à choyer ses conseillers quand il n’avait qu’une envie, les envoyer balader et leur rappeler qu’à leur âge, ce serait bien qu’il se torche le cul tout seul après avoir fait de la merde. Evidemment, ça, c’était prohibé. Mais surtout, surtout ! Il y avait Agathe et sa lubie soudaine : Noël est dans quinze jours, nous DEVONS faire les cadeaux. Il avait fini deux heures plus tôt pour suivre Agathe dans l’enfer des centres commerciaux un mois de décembre.
    Liste en main, elle l’avait trimballé d’une enseigne à l’autre, lui présentant chaque fois des babioles avec toujours ce commentaire : « Je verrais bien ça pour untel ou unetelle », ou cette question insoluble avant l’ouverture des paquets « Tu crois que ça plairait à machin ? » Lui hochait la tête, poli, lâchait de temps à autres un « Pas mal » ou un « hum… » concerné pour faire plaisir. Il était si abruti par les lumières criardes, les couleurs trop vives dans la nuit zébrée de phares qu’elle aurait pu dire n’importe quoi, il aurait opiné pour abréger son calvaire.
    A vingt heures, quand il se termina enfin, il ne connaissait même plus son nom. Seul subsistait le code de sa carte bleue. Enfin Gold, il est manager tout de même.
    La côte est derrière lui. Pourtant, sur la longue ligne droite balafrant la Forêt Verte, cicatrice de goudron noir entre les arbres dégarnis, il appuie comme un malade sur les pédales. Il n’a pas complétement vidé son sac. Certains vont chez le psy, d’autres se gavent de médocs, lui, son exutoire, c’est sa session vélo du samedi. Vu sa semaine, il a encore des kilomètres à parcourir s’il veut se sentir bien. Quoique bien est un trop grand mot. Moins mal au moins.
    Il y avait eu jeudi. Un jeudi noir. Tout était parti en vrille. Il y avait des travaux dans un des appartements au-dessus de l’agence et il ne savait pas ce qu’avait foutu les ouvriers mais lorsqu’il avait ouvert l’agence ce matin-là, plus de jus. Impossible d’allumer les lumières, de lancer les bécanes. Pire, sa Nespresso avait catégoriquement refusé de lui couler son petit noir. Seule perspective : une journée de merde.
    Il avait bataillé toute la matinée avec l’entreprise pour qu’elle répare ses conneries. Finalement, à onze heures, les ampoules de la salle d’attente bondée de clients impatients, donc odieux, avaient repris vie. Il avait été contraint de se confondre en excuse, de s’aplatir devant eux pour apaiser leur colère. Il ne déteste rien de plus que de devoir obtenir le pardon de quelqu’un pour une faute dont il n’était pas la source. Il avait l’impression de se prostituer. Il était allé leur chercher des cafés au bar d’à côté, avait sorti des discours préfabriqués de gestion de crise, les avait assuré que tout était en œuvre pour restaurer la situation. Eux n’avaient fait preuve d’aucune compréhension, enfermés dans leurs mesquines exigences de client roi, despotiques comme le sont tous les consommateurs frustrés découvrant soudainement la jouissance du pouvoir, aussi infime soit-il. Il avait eu envie de les baffer, de les virer à coup de pieds au cul quand l’exigence de rentabilité le contraignait à les enjôler pour ne pas perdre un contrat. En deux heures de temps, il avait épuisé toutes ses ressources de patience et de maîtrise de soi.
    Le midi, il avait espéré trouver un peu de réconfort. Non. Le plat du jour était dégueulasse, une choucroute de la mer sentant les pieds, et le café un vrai jus de chaussettes. Il était retourné à l’agence plus énervé encore. Et planait au-dessus de lui la perspective du rendez-vous de dix-huit heures avec Real Virtual, une start-up rouennaise en pleine expansion qui nécessitait des garanties particulières. Il avait passé deux semaines à potasser le dossier, se renseignant à droite à gauche pour bien saisir les obligations liées au numérique. Il était treize heures et il ne souhaitait qu’une chose : tout envoyer bouler.
    Finalement, il se noya dans le boulot. Traiter des dossiers sinistres comme un simple conseiller lui permit d’évacuer sa nervosité. Quand arriva Mickaël Durand, PDG de Real Virtual, il se sentait prêt pour lui vendre tout, même l’inutile. Hélas, ça n’avait pas suffi. Il s’était embrelé les pinceaux, l’autre lui avait posé des colles, avait mis le doigt sur les failles du contrat. Deux heures de combats pour, au final, se séparer sans n’avoir rien obtenu, pas même un accord verbal, pas même l’espoir de travailler ensemble. Rien. Nada. Que dalle. « Merde ! » avait-il hurlé, seul dans l’agence vide après avoir raccompagné cet enfoiré.
    Virage à droite, puis à gauche, dérapage à peine contrôlé sur les gravillons pour s’engager sur le chemin du retour. A vue de nez, ça fait plus d’une heure qu’il pédale comme un forçat pour aller de nulle part à nulle part, seulement pour se faire du mal, pour se punir, pour faire de la chaleur de son corps en pleine activité le bûcher de ses idées noires. Allez ! Encore dix minutes jusqu’au parking.
    Vendredi avait commencé dans les vestiges de la veille. Le goût amer de la défaite tapissait encore son palais, sa langue et transformait chaque déglutition en glaires sures. Il l’avait dissimulé par des sourires ressources humaines, par des poignées de mains franches quand il salua ses conseillers. Il avait bien rangé ses dossiers, les avait tous ordonnés parallèlement à son sous-main, avait déposé le bon stylo à leur sommet et déguster son café avant de se lancer dans le boulot.
    Néanmoins, ça ne l’avait pas quitté de la journée. Il s’était montré sec avec les clients. Pas désagréable mais sans le sucre habituelle, sans le mielleux dans la voix qui fait croire aux sociétaires qu’on s’intéresse réellement à leurs tracas ridicules. Il avait bâclé son rapport d’activité hebdomadaire et, le pire dans tout ça est qu’au moment de cliquer sur envoyer, il n’avait même pas ressenti la pointe de honte qu’il ressentait habituellement lorsqu’il envoyait un truc qu’il savait pourri. Qu’importait à ce moment, comme depuis plusieurs semaines maintenant, la seule chose qu’il attendait était le week-end. Depuis quoi ? Un mois, peut-être deux, les vendredis n’étaient plus ces jours où il pestait de ne pas avoir assez de temps pour tout bien faire, pour conclure avec brio une semaine qu’il estimait jusque-là trépidante. Non, à présent, dès treize heures, il regardait tourner les aiguilles trop lentes de l’horloge. Encore que ce vendredi-là, il ne souhaitait pas vraiment les voir aller trop vite. Le soir, il dinait en tête-à-tête avec Agathe. Qu’est-ce qui lui avait pris de lâcher cette idée la semaine d’avant ? Avait-il trop bu ? Certainement car la perspective de passer le vendredi soir seul avec elle l’angoissait. Qu’est-ce qu’il allait lui dire ? Cela faisait sept ans qu’ils étaient ensemble. Jusque-là, il y avait eu un aspect… solaire à leur relation. Mais là aussi, tout était terni.
    Un voile de tristesse se pose sur ses pensées comme le souvenir d’un deuil difficile. Qu’est-ce qui lui arrive ? Serait-il réellement surmené comme l’avait suggéré Hélène ? Depuis plusieurs semaines, il n’arrive pas à mettre un doigt précis sur le « quand ? » (ça l’énerve particulièrement d’ailleurs). Depuis quand tout prenait un goût de cendres ? Non, ce n’est pas ça. Plus rien n’a de goût. Quel est cet étau autour de sa poitrine ?
    — Respire ! S’ordonne-t-il.
    En effet, il ne respire plus. Il n’arrive plus à respirer.
    Dans un resto réputé, l’un en face de l’autre, ils avaient diné de plats fins, de vins délicieux mais rien. Ç’eut été la même chose un cassoulet en boîte. Ils avaient échangé des banalités. Il s’était contraint à sourire, à relancer la conversation plate qu’ils menaient depuis l’apéritif. Chaque silence, il les vivait comme des coups de poignards. Mais des plaies ouvertes ne coulaient aucune doulour, plutôt un soulagement malsain. Ils avaient fait l’amour ensuite. Du moins avaient-ils uni leurs corps, sans passion, sans envie, seulement par convention.
    Freinage sec. Dérapage. Il est arrivé. Il descend de son vélo. Il ressent à peine l’engourdissement de ses fesses consécutif au temps passé posées sur une selle trop étroite. Il ne ressent plus rien. Il est maintenant d’une neutralité inquiétante. N’est-ce pas ce qu’il recherche en pédalant ? Si, pourtant, ce n’est pas son genre cette apathie émotionnelle. En ouvrant le coffre, il rectifie : ce n’était pas son genre. Qu’est-ce qui lui arrive ?

Répondre à Vivelevelo Annuler la réponse.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *