L’esprit de la lettre

Séance du 17 mai 2010

lettre

Cet exercice a pour but de jouer avec l’horizon d’attente du lecteur:

On rédige la lettre qu’un personnage adresse à un destinataire.

Un certain type de rapport semble être établi entre eux par la lettre (par exemple une relation familiale, ou des rapports hiérarchiques dans un cadre professionnel…) et le lecteur croit se faire une idée claire de ce à quoi il a affaire.

Et puis, comme une révélation dans la pointe d’une nouvelle, la fin de la lettre apporte un jour nouveau sur l’intention du personnage et sur la nature de ses liens avec le destinataire.

Essayez de nous surprendre!

2 commentaires sur “L’esprit de la lettre

  1. À l’attention de M. XXX
    Président de l’Auto Rétro Club Normand
    15 bis, rue Claude Monet
    76790 Étretat

    Vendredi 14 mai 2010

    Monsieur le Président,

    Ayant découvert votre club par le plus grand des hasards, lors d’une présentation de véhicules anciens dans le village du Bec Hellouin, je me permets de vous écrire pour solliciter de votre haute bienveillance la permission d’adhérer à l’Auto Rétro Club Normand. Veuillez trouver dans cette enveloppe un chèque correspondant au montant de la cotisation pour l’année en cours.

    Ma passion pour les vieilles voitures ne date pas d’hier, et je prise tout particulièrement ces antiques bolides qui parcouraient jadis les circuits du Mans, de Monaco, de Montlhéry… J’aime le charme désuet des reflets chromés qui s’attachent à leur carrosserie. Je crois aussi que c’est dans de tels chefs-d’œuvre de la mécanique d’autrefois que l’on goûte le mieux à l’ivresse de la vitesse.

    Je ne dois pas vous cacher que je suis un vieux monsieur rêveur, qui tue ses heures d’ennui en écrivaillant quelques intrigues policières, dans un style toujours soutenu, et dans l’esprit anglais. Je vous recommande d’ailleurs mon dernier roman, Un pendu au mât de misaine, pour lequel je me suis inspiré de faits réels dont j’ai été le témoin en fréquentant les milieux de la voile.

    Je travaille beaucoup en ce moment à boucler une histoire qui se passerait justement dans l’univers feutré des collectionneurs d’automobiles anciennes. Rien ne me ferait plus de publicité, du reste, avant la parution prochaine de ce roman, qu’un petit accident, assez déplorable toutefois pour défrayer la chronique locale, voire nationale.

    Au moment où vous lisez ces lignes, pourquoi ne vous inquièteriez-vous pas de l’état des freins de la Lotus Seven blanche et or que votre fils est en train de conduire sur la route de la Corniche, comme chaque samedi avant l’heure de l’apéritif? Veuillez excuser cette interrogation à brûle-pourpoint, je me demande moi-même comment me viennent ces idées quelque peu déplacées – déformation professionnelle, sans doute.

    Je vous prie de croire, Monsieur le Président, en l’assurance de ma respectueuse considération.

    Jean-Gabriel Falco

    P.S. Permettriez-vous que je joigne à mon roman cette lettre – qui fait partie intégrante de l’histoire – ainsi que la narration des faits qui se produiront à partir du moment où vous en aurez fini la lecture?

  2. Madame,

    Madame, il faut que cela cesse, je n’en peux plus. Voyez, j’écris deux fois votre nom, Madame, et une troisième fois, c’est dire l’état abominable dans lequel je me trouve. Depuis près de deux mois que l’on se connaît, que l’on s’estime, que l’on se fréquente, Madame, comment osez-vous ? Comment a-t-il pu vous venir à l’esprit que cela ne m’affecterait pas ? Je m’en attriste, Madame, et cinq valent mieux que quatre.

    Tout débuta, je vous le rappelle, par ce mot, cet infâme billet, insidieuse sentence que vous me fîtes parvenir. Fatale écriture, proprement fatale ! Chacun des termes qui le composait frappa mon cœur du plus violent des outrages. M’annoncer cela de la sorte ! Jamais on ne vit homme plus malheureux dans tous les âges. Et je vous vis, grésillante, impénitente, fanfaronnante harpie, entredéchirer mon âme. Je vous vis passer le jour même devant ma porte, souriante, malaimante, adorant à pleine dents votre propre carnage. Vous me fîtes alors ce signe que jamais je n’oublierai, ce signe qui donne la teinte exacte dont se peinture votre âme, ce signe que vous me fîtes lorsque vous me saluâtes. Scélérate ! Le mot nz me coûte guère, je ne répugne pas à l’écrire, vous qui jouez avec les hommes comme on joue avec les cartes. Perfide, vous me saluâtes, et comme de rien vous en allâtes peinardement vers vos pénates. Et moi de demeurer à demi-foudroyé sous le coup, laissant l’autre moitié pas beaucoup plus en forme, d’ailleurs. Me sentant défaillir, je m’en retournai me consoler près de ma femme. La pauvre, si elle avait su ! Mais je ne pus rien lui confier, qu’un seau plein de chagrin! Le coup eut parut trop rude, son cœur n’eut pas tenu : elle est cardiaque. Je me contentai donc de pleurer, oui, de pleurer, et vous trouverez d’ailleurs, en cherchant bien, ici, quelques unes de mes larmes. Maudite ! Cruelle ! Abreuvez-vous de mon abondance lacrymale, repaissez-vous, vous qui me traitez en animal !

    Je n’attends, je n’attends plus rien de vous, pas même une réponse. A vouloir saigner un voisin, voilà ce qu’on ensemence : un immense champ de haine. Je vous la jette, au visage, et ne voudrai pas la reprendre. C’est terminé, je plie bagages. J’emporte ce qui me reste : mon honnêteté, ma femme et deux enfants qu’il me faudra nourrir, tant mal que bien. Vous ne me laissez pas d’autre choix. Reprenez vos sourires, reprenez vos œillets, reprenez vos œillades, reprenez tout, servez-vous amplement, la curée est sur la table. Distribuez donc vos tracts, pratiquez les tarifs que vous désirez, j’irai les vendre ailleurs, mes tulipes, mes roses, mes jonquilles, mes hortensias. Vous vouliez ma chute, vous vouliez voir périr un homme, vous l’avez : cette lettre est mon cadavre. Celui d’un honnête commerçant qui n’a ni l’envie, ni le pouvoir de lutter avec le capital.

    A ne jamais vous revoir
    Détestablement,
    Maurice Deslandes,
    Fleuriste de vocation.

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