La Princesse et le zombie

Dans le cadre d’une séance spéciale organisée pour le premier festival des Univeriales, nous avons proposé aujourd’hui un jeu inspiré par l’esprit d’Halloween: sur le modèle d’Orgueils et préjugés et zombies, les joueurs étaient invités à réécrire la scène de bal de La Princesse de Clèves, non sans y insérer des créatures fantastiques ténébreuses afin de construire une nouvelle histoire…

Orgueil et préjugés : publié en 1813 par Jane Austen

« C’est une vérité universellement reconnue, qu’un célibataire doté d’une certaine fortune est nécessairement à la recherche d’une épouse.

Même si l’on ignore à peu près tout de ce que pense ou ressent un tel homme lorsqu’il fait son apparition, cette vérité est si bien fixée dans les esprits des familles de la région qu’il est considéré comme la propriété légitime de l’une ou l’autre de leurs filles.

– Mon cher Mr Bennet, lui dit un jour son épouse, savez-vous que Netherfield Park est enfin loué ?

Mr Bennet répondit qu’il l’ignorait.

– C’est pourtant le cas, répliqua la dame, car Mrs Long, qui sort d’ici, m’a tout raconté.

Mr Bennet garda le silence. »

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Orgueil et préjugés et zombies : publié en 2009 par Seth Grahame-Smith… et Jane Austen. Trad. Laurent Bury.

« C’est une vérité universellement reconnue qu’un zombie ayant dévoré un certain nombre de cerveaux est nécessairement à la recherche d’autres cerveaux. Jamais cette vérité ne fut mieux illustrée que lors des récentes attaques de Netherfield Park, où les dix-huit personnes de la maisonnée furent massacrées et dévorées par une horde de morts-vivants.

– Mon cher Mr Bennet, lui dit un jour son épouse, savez-vous que Netherfield Park est enfin loué ?

Mr Bennet répondit qu’il l’ignorait et poursuivit sa tâche matinale : il aiguisait son poignard et nettoyait son mousquet car, depuis quelques semaines, les attaques d’innommables avaient augmenté à une fréquence inquiétante.

– C’est pourtant le cas, répliqua la dame […] »

N.B. Il arrive que des pages entières viennent s’intercaler au milieu du texte original de Jane Austen. Immanquablement pour faire part d’attaques et de combats.

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La Princesse de Clèves (Mme de Lafayette, 1678)

Au temps des derniers Valois, la jeune Mlle de Chartres a épousé sans amour le prince de Clèves. Peu après son mariage, elle assiste à un bal et rencontre le duc de Nemours, réputé le plus bel homme de la cour…

 

Mme de Clèves avait ouï parler de ce prince [M. de Nemours] à tout le monde, comme de ce qu’il y avait de mieux fait et de plus agréable à la cour ; et surtout madame la Dauphine le lui avait dépeint d’une sorte, et lui en avait parlé tant de fois, qu’elle lui avait donné de la curiosité, et même de l’impatience de le voir. Elle passa tout le jour des fiançailles chez elle à se parer, pour se trouver le soir au bal et au festin royal qui se faisait au Louvre. Lorsqu’elle arriva, l’on admira sa beauté et sa parure; le bal commença et, comme elle dansait avec M. de Guise, il se fit un assez grand bruit vers la porte de la salle, comme de quelqu’un qui entrait et à qui on faisait place. Mme de Clèves acheva de danser et, pendant qu’elle cherchait des yeux quelqu’un qu’elle avait dessein de prendre, le roi lui cria de prendre celui qui arrivait. Elle se tourna et vit un homme qu’elle crut d’abord ne pouvoir être que M. de Nemours, qui passait par-dessus quelques sièges pour arriver où l’on dansait. Ce prince était fait d’une sorte qu’il était difficile de n’être pas surprise de le voir quand on ne l’avait jamais vu, surtout ce soir-là, où le soin qu’il avait pris de se parer augmentait encore l’air brillant qui était dans sa personne; mais il était difficile aussi de voir Mme de Clèves pour la première fois sans avoir un grand étonnement.

  1. de Nemours fut tellement surpris de sa beauté que, lorsqu’il fut proche d’elle, et qu’elle lui fit la révérence, il ne put s’empêcher de donner des marques de son admiration. Quand ils commencèrent à danser, il s’éleva dans la salle un murmure de louanges. Le roi et les reines se souvinrent qu’ils ne s’étaient jamais vus, et trouvèrent quelque chose de singulier de les voir danser ensemble sans se connaître. Ils les appelèrent quand ils eurent fini sans leur donner le loisir de parler à personne et leur demandèrent s’ils n’avaient pas bien envie de savoir qui ils étaient, et s’ils ne s’en doutaient point.

– Pour moi, madame, dit M. de Nemours, je n’ai pas d’incertitude; mais comme Mme de Clèves n’a pas les mêmes raisons pour deviner qui je suis que celles que j’ai pour la reconnaître, je voudrais bien que Votre Majesté eût la bonté de lui apprendre mon nom.

– Je crois, dit Mme la dauphine, qu’elle le sait aussi bien que vous savez le sien.

Je vous assure, madame, reprit Mme de Clèves, qui paraissait un peu embarrassée, que je ne devine pas si bien que vous pensez.

– Vous devinez fort bien, répondit Mme la dauphine; et il y a même quelque chose d’obligeant pour M. de Nemours à ne vouloir pas avouer que vous le connaissez sans l’avoir jamais vu.

La reine les interrompit pour faire continuer le bal; M. de Nemours prit la reine Dauphine. Cette princesse était d’une parfaite beauté et avait paru telle aux yeux de M. de Nemours avant qu’il allât en Flandre; mais, de tout le soir, il ne put admirer que Mme de Clèves.

Mme de Lafayette, La Princesse de Clèves, 1678, première partie

Exercice

Réécrire la scène du bal (polycopié) en conservant autant que possible le texte, et en l’entrelaçant de descriptions et d’actions mettant en scène des zombies, vampires, elfes ou autres créatures de l’imaginaire, de préférence ténébreuses. Le texte final doit présenter autant que possible une allure lisse et unifiée : les deux voix, celle de Mme de Lafayette et la vôtre, doivent se fondre pour créer une nouvelle histoire…

Retrouvez aussi le diaporama d’accompagnement de la séance. N’hésitez pas à poster vos textes dans les commentaires ci-dessous!

1 commentaire sur “La Princesse et le zombie

  1. Mme de Clèves avait ouï parler de ce prince à tout le monde, comme de ce qu’il y avait de mieux fait et de plus agréable à la cour et le plus habile chasseur de parpaillots, qui commençaient à hanter le royaume depuis quelques décennies. Et surtout madame la Dauphine le lui avait dépeint d’une sorte, et lui en avait parlé tant de fois, qu’elle lui avait donné de la curiosité, et même de l’impatience de le voir. Les parpaillots avaient surgi de nulle part, depuis le règne de feu le roi François, et ils étaient de plus en plus nombreux. Certains n’avaient d’humain que la silhouette, et portaient au dos une paire d’ailes ornée de deux grands cercles en formes d’yeux. Pour le reste, et bien qu’ils marchassent sur leurs jambes, ils avaient tout l’air d’insectes, tout noirs, la tête oblongue, avec des pattes blanches décharnées qui sortaient de leur carapace de ténèbres. Cette affection qui frappait le pays donnait bien de l’inquiétude aux conseillers du roi. Mme de Clèves avait reçu, comme, tous les jeunes gens de deux sexes de sa condition, une formation d’autodéfense complète, afin de pouvoir les repousser efficacement. Aussi pouvait-elle profiter des divertissements qu’offrait la cour, sans s’inquiéter outre mesure de la menace qui planait sur la France.
    Elle passa tout le jour des fiançailles chez elle à se parer, pour se trouver le soir au bal et au festin royal qui se faisait au Louvre. Des gardes avaient été disposés autour du palais, pour assurer la sécurité de la demeure princière en cas d’attaques de parpaillots. Lorsqu’elle arriva, l’on admira sa beauté et sa parure, ainsi que le crucifix d’or que lui avait remis sa mère, et qui était réputé tenir à l’écart les morts-vivants ; le bal commença et, comme elle dansait avec M. de Guise, qui se flattait d’avoir éliminé une troupe de monstres quelques jours auparavant, il se fit un assez grand bruit vers la porte de la salle, comme de quelqu’un qui entrait et à qui on faisait place. Chacun leva les yeux, et constata horrifié qu’un groupe de parpaillots s’était glissé jusque dans la maison du roi. Mme de Clèves acheva de danser et, pendant qu’elle cherchait des yeux celui qu’elle avait dessein de prendre, le roi lui cria de prendre celui qui arrivait et de le mettre en pièces. Elle sortit de sous sa robe une rapière florentine qui fit des miracles. La plupart des courtisans avait battu en retraite, et, restée seule sur le champ de bataille, elle allait être surclasée par le nombre de ses adversaires. Par bonheur, elle se tourna et vit un homme qu’elle crut d’abord ne pouvoir être que M. de Nemours, qui passait par-dessus quelques sièges pour arriver où l’on dansait avant l’arrivée des innommables. Ce prince était fait d’une sorte qu’il était difficile de n’être pas surprise de le voir combattre quand on ne l’avait jamais vu tailler des croupières, surtout ce soir-là, où le soin qu’il avait pris de se parer augmentait encore l’air brillant qui était dans sa personne lorsqu’il répandait ses coups mortels; mais il était difficile aussi de voir se battre Mme de Clèves pour la première fois sans avoir un grand étonnement devant son habileté à massacrer les odieux parpaillots, les yeux pleins de flammes, de détermination, et de courage.
    M. de Nemours fut tellement surpris de sa beauté et de son habileté que, lorsqu’il fut proche d’elle, que le dernier monstre fut exécuté, et qu’elle lui fit la révérence, il ne put s’empêcher de donner des marques de son admiration, et de l’interroger sur les bottes qu’elle avait dispensées avec tant de maîtrise. Quand ils commencèrent à danser, les courtisans sortirent de leurs cachettes et, contemplant les cadavres des parpaillots, il s’éleva dans la salle un murmure de louanges. Le roi et les reines se souvinrent qu’ils ne s’étaient jamais vus, et trouvèrent quelque chose de singulier de les voir danser ensemble sans se connaître, après avoir si vaillamment combattu l’un à côté de l’autre. Ils les appelèrent quand ils eurent fini sans leur donner le loisir de parler à personne et leur demandèrent s’ils n’avaient pas bien envie de savoir qui ils étaient, et s’ils ne s’en doutaient point.
    – Pour moi, madame, dit M. de Nemours, je n’ai pas d’incertitude, après avoir vu la meilleure escrimeuse de France lutter à mes côtés avec une telle sauvagerie; mais comme Mme de Clèves n’a pas les mêmes raisons pour deviner qui je suis que celles que j’ai pour la reconnaître, je voudrais bien que Votre Majesté eût la bonté de lui apprendre mon nom.
    – Je crois, dit Mme la dauphine, qu’elle le sait aussi bien que vous savez le sien, après vous avoir donné tant de coups d’estoc et de pointes, de voltes et de moulinets.
    – Je vous assure, madame, reprit Mme de Clèves, qui paraissait un peu embarrassée, que je ne devine pas si bien que vous pensez.
    – Vous devinez fort bien, répondit Mme la dauphine; et il y a même quelque chose d’obligeant pour M. de Nemours à ne vouloir pas avouer que vous le connaissez sans l’avoir jamais vu, à considérer seulement son talent d’escrimeur, ses feintes, et ses estocades.
    La reine les interrompit pour faire continuer le bal; M. de Nemours prit la reine Dauphine. Cette princesse était d’une parfaite beauté, maniait l’épée avec grâce, et avait paru telle aux yeux de M. de Nemours avant qu’il allât en Flandre; mais, de tout le soir, il ne put admirer que Mme de Clèves, qu’il ne regarda plus ensuite que comme la plus furieuse égorgeuse de parpaillots qui fût au monde.

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